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Revue Marionnettes

Théâtre Sans Fil : Une vie formidable!

Article paru dans la Revue Marionnettes nº2, 2009

En 38 ans, les spectacles de marionnettes géantes du Théâtre Sans Fil de Montréal ont rejoint plus de 3 millions de spectateurs dans 25 pays. 

Entrevue avec André Viens, directeur artistique et général, par Catherine Ego

Le Hobbit, Théâtre Sans Fil, 1980.

Le Hobbit, Théâtre Sans Fil, 1980. Gandalf, manipulé par Réjean Robidoux, André Viens et Jacques Trudeau.Photo: Luc Beaulieu. Fonds AQM, Montréal

Comment votre aventure a-t-elle commencé ?

Le Théâtre Sans Fil a été fondé en 1970 par des étudiants de la première promotion de diplômés en théâtre de l’Université du Québec à Montréal. Nous avions demandé à l’UQAM un cours sur la marionnette : c’est Pierre Régimbald qui nous l’a donné. Au tout début de ce cours, nous avons aussi regardé un film en 16 mm sur le bunraku – et nous sommes tombés en amour avec cette forme de théâtre de marionnettes. Et puis, toujours dans le cadre de ce cours à l’UQAM, nous avons monté L’Araignée en marionnettes géantes (entre 1,50 et 2,40 m.), de manière complètement loufoque – du « rabelaisien oriental », je dirais. C’est comme ça que nous avons fondé le Théâtre Sans Fil. Mon mentor, évidemment, c’est Pierre Régimbald.

Pourquoi la marionnette géante ?

Parce qu’elle donne l’accès à un autre monde – au monde onirique des fables, des légendes, du fantastique, du grandiose. Elle a aussi un impact physique énorme qu’une petite marionnette ne peut pas avoir. J’aime son côté spectaculaire, plus grand que nature ! Nous faisons en quelque sorte de la « science-fiction théâtrale pour la famille ». Mais nos sujets sont humains. Nos marionnettes elles-mêmes sont souvent humanisées. Et puis, on peut parler de tout avec des marionnettes géantes, y compris de choses intimes. Le médium nous impose certaines contraintes. Néanmoins, même Le Seigneur des anneaux, notre « spectacle à grand déploiement », comportait des scènes très touchantes.

Comment se déroule votre processus de création ?

Nous partons presque toujours d’un texte déjà écrit – parfois une adaptation de plusieurs textes, parfois même une seule ligne. Il nous est arrivé deux fois seulement de procéder par commande, les deux fois avec Henriette Major : Jeux de rêves, notre premier spectacle pour enfants, a été conçu à partir d’une collecte de rêves d’enfants ; La Couronne du Destin répondait à une demande du Scottish International Children’s Festival d’Édimbourg.

Une fois l’idée ou le texte choisi… il se passe deux ans ! L’adaptation prend six mois, qu’il s’agisse d’écrire en collaboration avec l’auteur ou qu’il faille adapter un texte déjà écrit : c’est l’étape du choix des scènes, des personnages…La conception du spectacle demande huit à neuf mois : conception des personnages, des marionnettes, des lieux, de la musique ; création des dialogues. Ensuite, nous fabriquons tous les éléments et les mettons ensemble. Enfin, les répétitions prennent de trois à quatre mois. C’est long. Et cela coûte terriblement cher !

Quel a été votre parcours depuis trente ans ?

Nos orientations artistiques : Après L’Araignée, nous avons créé un autre spectacle pour l’emmener dans des villes québécoises où le théâtre n’était jamais allé ! Il n’existait à l’époque que le théâtre bourgeois, un peu de burlesque… Les tournées des compagnies théâtrales existantes visitaient les grandes villes, mais pas les petites. Nous, nous y sommes allés ! Notre objectif était de démocratiser le théâtre, de l’utiliser comme moyen de changement social. Nous avons tourné ainsi pendant plusieurs années. C’était du théâtre très engagé, mais l’esthétique comptait quand même.

Nos premières années ont donc été très marquées par l’engagement. Au bout de cinq à six ans, comme dans toute compagnie, entreprise ou groupe rock, il y a eu une remise en question, des tiraillements. À cette époque, les artistes étaient presque les seuls dépositaires de la contestation. Nous étions fatigués ! Après avoir regardé les artistes s’agiter sur toutes les scènes, la société commençait enfin à bouger. Heureusement !

En 1975-1976, donc, scission, remise en question : deux pensées complètement différentes s’affrontent. Je voulais passer à un niveau plus professionnel, sortir du Québec et aller vers un théâtre plus artistique et moins politique. Mais toujours avec la marionnette géante ! Nous ne l’avons jamais remise en cause.

Nous avons donc délaissé le politique. Certains de nos spectacles gardent toutefois une dimension sociale. En 1982, dans Jolis deuils, nous nous sommes intéressés à des thèmes sociaux, humains, mais universels. Dans Le Seigneur des anneaux, nous parlions de pouvoir, d’abus… Aujourd’hui, certains de nos spectacles peuvent se lire à deux niveaux : le premier, celui du plaisir, de la surprise ; et le deuxième, celui du social ou du politique, comme La Couronne du Destin, par exemple. Pour qui ne connaît pas l’histoire de l’Écosse, c’est un beau spectacle, esthétique, artistique… Mais les Écossais ne s’y sont pas trompés : ils ont très bien perçu la dimension historique et politique de notre proposition.

Nos techniques : La fin des années 1970 a été marquée par un virage technique majeur. En 1976, nous avons monté Ciel bleu prend femme, tiré de contes érotiques amérindiens, pour bien montrer que le Théâtre Sans Fil s’adressait aux adultes ! La marionnette était considérée comme étant réservée aux enfants à l’époque – et cela n’a pas beaucoup changé en trente ans.

Je suis convaincu depuis toujours qu’on doit parler français au Québec. Mais pour sortir des frontières avec Ciel bleu prend femme, nous avons traduit le spectacle et l’avons joué en anglais. Nous avons aussi commencé à enregistrer les voix et la musique sur bande sonore. Nous avions joué avant cela dans des salles de 600 ou 700 personnes, avec les musiciens sur scène et les marionnettistes qui disaient le texte. C’était infernal ! D’autant plus que nos marionnettes sont très lourdes. Et le micro sans fil n’existait pas! Honnêtement, je ne crois pas qu’on puisse bien manipuler et bien dire le texte en même temps – en tout cas, pas avec des marionnettes géantes.

En plus de nous tuer à la tâche, nous n’étions pas entièrement satisfaits des voix, ni pour le son, ni pour l’interprétation… Nous avons donc travaillé avec des comédiens chevronnés et avons enregistré le texte dans des studios professionnels. Cela nous a permis de nous libérer du texte, de pousser la manipulation plus loin et d’augmenter la qualité. Évidemment, la bande sonore est impitoyable : elle défile toujours de la même façon, à la même vitesse. Mais c’est une contrainte formidable ! Elle évite l’éparpillement sans rigidifier le travail. Elle nous permet aussi de jouer dans toutes les langues et dans des salles beaucoup plus grandes.

Le milieu : Les années 1970-1980 ont été celles du bouillonnement artistique, théâtral, politique. Mais vers 1982-1985, la crise économique a frappé le Québec de plein fouet : comme toujours en période d’incertitude, cela a causé un repli sur des formes et des sujets plus traditionnels. Nous avons monté Le Seigneur des anneaux, spectacle à grand déploiement ! Soit ça passait, soit ça cassait. Mais alors, au moins, nous aurions disparu dans l’apothéose ! En fait, nous prenions un risque énorme. Heureusement, le spectacle a été accueilli au-delà de nos espérances.

Dans les années 1990, de nouvelles compagnies de théâtre de marionnettes ont fait leur apparition, surtout en théâtre pour adultes. Malheureusement pour notre médium, la marionnette s’est fait doubler par le cirque. Nous étions en meilleure position que lui dans les années 1985-1990. Mais, comme la danse, le milieu de la marionnette est tout petit. Aujourd’hui, les danseurs et les chorégraphes ont cessé de s’entretuer et ont accepté la coexistence de nombreuses compagnies concurrentes. J’ai l’impression que le milieu de la marionnette ne l’a pas encore tout à fait compris.

Le Festival International de la Marionnette de Montréal, en 1986, a marqué une rupture majeure à cet égard. Bien sûr, il y a eu des difficultés financières terribles ; certaines compagnies étrangères sont même restées bloquées ici. Artistiquement, le Festival était très réussi – peut-être « trop ? ». Nous, les organisateurs, nous avons cru que le public suivrait. Il n’était peut-être pas aussi prêt que nous l’espérions. Nous proposions peut-être trop de spectacles… Nous avons fait un déficit énorme, d’autant plus que les billets ne coûtaient pas cher. Toujours est-il que le milieu de la marionnette s’est fracturé : d’un côté, ceux qui auraient voulu continuer pour régler le déficit et établir le festival;  de l’autre, ceux qui ne voulaient plus entendre parler du « fiasco ».

C’est à cette époque que nous nous sommes fait doubler par le cirque. Évidemment, il y a eu la locomotive du Cirque du Soleil, mais pas que ça : il y avait l’engouement, le désir. Pourtant, la marionnette était très forte ici, à l’époque ; les troupes étaient nombreuses. Il aurait fallu la volonté collective du milieu pour la propulser à l’avant-scène comme le cirque l’a été. Il aurait fallu que les acteurs du milieu se solidarisent, parlent d’une seule voix aux subventionneurs et autres intervenants. Cela ne s’est pas fait et nous en payons encore le prix.

Peut-être aussi que notre art est parfois trop pointu, contrairement au cirque, qui reste un art populaire. Les spectacles pour enfants sont accessibles, mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas de tous les spectacles pour adultes. Or, ce n’est pas en étant hermétique qu’on développe un public. Beaucoup de marchés sont plus nombreux que le nôtre ; certains sont peut-être plus ouverts à l’avant-garde. Il y a donc une question de nombre, mais aussi de maturité du public. Je crois qu’il faut commencer par des spectacles plus accessibles pour que le public prenne goût à la marionnette; puis, graduellement, on pourra proposer des spectacles plus pointus. C’est un cheminement.

Au niveau des ressources aussi, il faut que le milieu fasse front commun. Sinon, je crains que nous ne soyons condamnés à péricliter.

Et demain : qui prendra votre relève ?

Continuation ou fermeture ? Je ne sais pas. Il n’y a pas beaucoup de relève, en fait. Pour faire durer une compagnie comme le Théâtre Sans Fil, c’est difficile – autant sur le plan artistique qu’administratif. La machine est lourde, et je ne connais pas grand monde qui pourrait reprendre le flambeau. Moi-même, je me suis parfois découragé…

Nous sommes face à un désengagement des subventionneurs. Nous n’avons jamais été très soutenus – et l’appui diminue. Ou alors, il faudrait devenir plus commercial, ce que je ne suis pas prêt à faire. Nous nous sommes toujours tenus sur une ligne étroite entre le théâtre de recherche-développement et le théâtre grand public. Mais je ne serai jamais prêt à monter des textes à succès qui ne me parlent pas.

Sans soutien financier public, où est la solution ? Si le Théâtre Sans Fil doit fermer boutique, soit ! Il aura travaillé pendant 40 ans, 45 peut-être. Ce n’est pas si mal !

Si vous étiez une marionnette, laquelle seriez-vous ?

Gandalf, parce qu’il possède la connaissance du monde, du Bien et du Mal.

Vous savez, je peux sembler déçu de la manière dont le milieu a évolué. Mais en définitive, ce fut et c’est toujours une vie formidable ! La marionnette nous a fait voir le Monde, rencontrer les gens dans le cadre de vrais contacts. Et ça, c’est magnifique !

Le Seigneur des anneaux, Théâtre sans Fil, 1985

Le Seigneur des anneaux, Théâtre sans Fil, 1985. Fonds AQM, Montréal.