Frère et sœur, les deux personnages de l’émission Pépinot et Capucine sont les premières marionnettes à voir le jour à la télévision, lors de la mise en ondes de Radio-Canada, dans le cadre de la toute première émission jeunesse, le 7 septembre 1952.
Pépinot et Capucine ont brièvement existé en 1946, sous la forme d’une bande dessinée, dans le journal jeunesse François. Leur idéateur et dessinateur, Jean-Paul Ladouceur (1921-1992), auparavant directeur de l’animation à l’Office national du film (ONF), est embauché comme réalisateur des émissions pour enfants de la première saison. Il signe les esquisses des marionnettes à gaine, dont les premières sont fabriquées par le décorateur de l’émission, Edmondo Chiodini (1906-1997). D’abord pigiste, ce dernier obtient un poste à Radio-Canada en 1953 où il dirigera un atelier de décors et de marionnettes, surnommé la Chiodinerie. Chiodini y est assisté de l’artiste plasticienne Jeanne Auclair, qui fabriquera les têtes rigides en papier mâché de nombreux autres personnages de Pépinot et Capucine, et de Marielle Chevrier (1927-2004) pour les costumes.
Des essais et avant-premières de Pépinot et Capucine avaient été diffusés à quelques reprises, en août 1952, dans les premiers téléviseurs en vitrine des magasins. Entre le financement du projet de télévision publique en 1949 et l’inauguration officielle en 1952, des émissions expérimentales de Radio-Canada avaient été produites et diffusée de façon restreinte, en circuit fermé, notamment avec les marionnettistes Louise et Charles Daudelin, en novembre 1951.
Capucine, Pépinot, Pan-Pan, Monsieur Potiron, Monsieur Blanc, l'Ours et madame Poinson. Archives Radio-Canada
Marionnettistes et personnages
Si Ladouceur invente les personnages principaux et les dessine, ils seront précisés par Réginald Boisvert, le scénariste de l’émission, ainsi que par leurs interprètes. À l’époque, on joue la voix de son rôle tout en étant son castelier[1], une tâche apprise par essai et erreur, pendant les répétitions. Le travail de l’équipe de l’émission est en bonne partie une affaire de famille, ce que racontera Isabelle Doré dans son autobiographie, Ramène-moi à la maison. Sa mère, Charlotte Boisjoli, crée un Pépinot « frondeur » et complémentaire à celui de sa sœur et complice. La sœur de Charlotte Boisjoli, Marie-Ève Liénard (née Boisjoli), joue une Capucine « espiègle », « astucieuse et protectrice[2] ».
Toujours avec les deux enfants, un animal de compagnie plutôt costaud, l’Ours, s’exprime sur différents tons graves avec la seule onomatopée « menoum-menoum » (Jean Boisjoli, frère des premiers rôles, puis André Loiseau). Essentiel à l’action de chaque épisode, Pan-Pan, en uniforme pénitentiaire, joué avec un accent latin par Jean Boisjoli, est un voleur qui se repent, puis récidive, puis se fait déjouer par les héros. Parmi les nombreux personnages secondaires de Pépinoville ou d’ailleurs (joués pour la plupart par Paule Bayard et par André Loiseau, recruté en 1955), revient Monsieur Blanc (Fernand Doré, époux de Charlotte Boisjoli, puis Robert Rivard), un voisin savant, avec sa moustache blanche et ses lunettes, qui est cordonnier puis maire de la ville, ainsi que Monsieur Potiron, un fermier (Paule Bayard puis Guy Hoffman).
Les défis techniques du tournage de marionnettes en direct dans les années 1950
Plusieurs réalisateurs succéderont à Jean-Paul Ladouceur : Fernand Doré, Georges Delanoë, Pierre Gauvreau puis finalement Pierre DesRoches. Ces courtes durées de mandat s’expliquent : la direction de l’équipe de tournage est une responsabilité à la mesure du défi de produire une émission jeunesse de marionnettes à l’époque de la découverte de la télévision, avec un ensemble de tâches complexes, encore méconnues et à parfaire, qui nécessitent une quinzaine d’artistes et techniciens en studio, ou entre 24 et 28 dans les tout débuts. On diffuse à l’époque uniquement en noir et blanc et presque toujours en direct. La diffusion d’un épisode, chaque dimanche à 17 h 30, vient après plusieurs semaines de préparatifs techniques, de conception de marionnettes ou de décors nouveaux à partir du partage du scénario, puis de quinze à dix-huit heures (deux journées entières) de répétitions en studio, avec et sans caméra.
À partir du 10 janvier 1954, une traduction anglaise est produite par CBC, qui commence à cette même date à diffuser ses programmes sur un canal distinct de celui de Radio-Canada. Auparavant, les émissions en français et en anglais alternaient sur un unique canal, ce qui a permis aux enfants anglophones d’adopter déjà Pépinot et Capucine. En janvier 1954, on enregistre désormais les images de la manipulation par la distribution francophone le vendredi matin, avec seulement la musique de Neil Chotem[3] et les bruitages de Pierre Normandin, ce qui permet aussi quelques changements de cadrage et de décor. Après deux heures de répétitions supplémentaires, le dimanche, la même équipe joue en direct les voix, tandis que l’équipe de la version anglaise joue la traduction elle aussi en direct, de façon synchrone avec les images, sous la supervision simultanée du même réalisateur (Fernand Doré en janvier 1954), qui suit les deux équipes avec des écouteurs différents sur chaque oreille.
André Loiseau et Charlotte Boisjoli dans le décor de Pépinot et Capucine, manipulant l'Ours et Pépinot.
Évolution des scénarios et personnages
Deux semaines après le début de la traduction Pepinot, à partir du 24 janvier 1954, on écourte le titre de l’émission originale en Pépinot, afin de faciliter l’identité bilingue de l’émission. Dans les scénarios, on élargit le cadre de l’action de Pépinoville au monde entier. Pépinot sera diffusé sous ce titre jusqu’au 15 juin 1957, sans compter les nombreuses reprises. Du 26 juin au 25 septembre 1955, lorsque Pierre Gauvreau prend le relais comme réalisateur, l’émission ne fait pas relâche pour l’été, mais continue de jouer sous le titre temporaire Le théâtre de Pépinot, dont les personnages, costumés autrement, mettent en abyme des adaptations de classiques littéraires et de légendes dans la même case horaire télévisuelle. Elle redevient Pépinot avec la rentrée, mais jusqu’en 1957, l’intrigue est élargie à plusieurs époques, grâce à un Pépinot mettant la main sur son arbre généalogique puis racontant la vie de personnalités marquantes ou littéraires transformées en ses ancêtres directs. L’émission présentera, par exemple, la vie « de Marco Pépinot, explorateur, de Pépinot le Bref, roi des Gaules, d’Hercule Pépinot, détective, […] du grand patriote Louis-Joseph Pépinot […] et de Pépinotoryx, le grand roi des Francs. » Outre l’intention pédagogique de ces choix, Réginald Boisvert les explique surtout par le défi de varier les intrigues pour autant d’épisodes, ce qu’il fait en s’inspirant notamment de séries de bandes dessinées.
De 1952 à 1957, l’interprétation des rôles comme la scénarisation des personnages font l’objet d’ajustements par Boisvert et par les interprètes, notamment Pan-Pan, d’abord trop méchant et terrifiant, puis trop sympathique et digne d’identification, avant de le recentrer sur la naïveté, dont témoigne avec ironie le choix de le faire répéter sans cesse sa devise, « Pan-Pan il est toujours le vainqueur »… même s’il est plutôt toujours le perdant. Quant à la modulation vocale et à la diction de Charlotte Boisjoli (qui signera un livre sur sa méthode comme actrice en 1982) et de Marie-Ève Liénard, on peut reconnaître en écoutant des enregistrements d’archives combien elles inspireront les voix données à d’autres duos frère-sœur de la télévision jeunesse. Des rediffusions d’épisodes de la série ponctuent les décennies 1950, 1960, 1970 et jusqu’en 1982, ce qui contribuera à entretenir sa mémoire et son rôle de modèle pionnier pour les émissions ultérieures. En devenant un objet de nostalgie et un premier modèle, Pépinot et Capucine aura été un lieu d’invention et d’apprentissage pour la scénarisation comme pour les métiers de conception de séries télévisuelles de marionnettes.