Skip to main content

Biographies

Paule Bayard

par Francis Ducharme

Paule Bayard est l’une des rares actrices de sa génération à se spécialiser comme marionnettiste aux débuts de la télévision, en 1952. Si Bobinette a été son rôle le plus célèbre, elle a également animé avec talent les marionnettes de plusieurs émissions, parmi lesquelles Le grenier aux images, Le professeur Calculus et Le moulin aux images.

Paule Bayard a été membre des Compagnons de saint Laurent (1937-1952), et elle a probablement interprété les spectacles de leur section jeunesse (aux distributions anonymes), le Théâtre de l’Arc-en-ciel (1949-1952). Mais ses contrats pour la télévision l’obligent à refuser les invitations du père Legault à participer aux spectacles des Jongleurs de la Montagne (décembre 1953 – été 1957), une compagnie créée pour tenter de relancer les Compagnons de saint Laurent. Sur six ou sept productions, elle compte trois participations mais continue d’être membre de la troupe jusqu’à la fin. Le journaliste Clément Fluet dresse en 1957 un portrait d’elle centré sur le stéréotype féminin de la modestie, filant la métaphore de son titre, « La violette de la TV : Paule Bayard », selon la symbolique de cette fleur, associée à l’ombre et à la discrétion. Mais comme on le verra ici, sa trajectoire d’artiste à la télévision ne manquera pas de contredire cette image trompeuse.

Paule Bayard

Marionnettiste à la télévision

Pour la première saison télévisuelle 1952-1953, Paule Bayard est l’actrice choisie pour devenir l’unique marionnettiste de l’émission Le grenier aux images (1952-1957), d’abord improvisée par André Cailloux, lui aussi ancien membre des Compagnons. Après quelques épisodes, Françoise Faucher signe les textes de l’émission puis, dès janvier 1953, la scénariste radiophonique Alec Pelletier lui succède. Son arrivée en janvier 1953 coïncide avec celle de Paule Bayard et du personnage de Frisson dans les scénarios. Si Le grenier aux images met en vedette un conteur et animateur, l’émerveillement que l’émission suscite repose surtout sur la présence du lutin animé par Paule Bayard. L’excellence de la scénarisation d’Alec Pelletier expliquerait la popularité de l’émission, selon l’opinion d’une critique de Radiomonde et télémonde, qui vante aussi le travail du nouveau responsable de sa réalisation, Louis Bédard (1954-1957), assisté de Claire Paquin.

Les premières saisons, des dessins apparaissent à l’écran pour mettre en images les histoires racontées dans le grenier, d’où le titre de l’émission. Elles sont signées par l’artiste peintre et futur cinéaste d’animation Frédérick Back (1924-2013), alors responsable des illustrations et des effets visuels des émissions de Radio-Canada, qu’elles soient des documentaires scientifiques, des actualités ou des fictions.

Paule Bayard se démarque rapidement, à l’hiver 1953, en tant que marionnettiste du petit écran avec Le grenier aux images et on l’invite la même saison à rejoindre l’équipe de Pépinot et Capucine (1952-1957). Elle devient la responsable de la plupart des personnages secondaires, en particulier les rôles féminins autres que Capucine (ou pour remplacer temporairement Marie-Eve Liénard dans le rôle). C’est une tâche constante et variée : la première saison compte à elle seule une vingtaine de personnages rencontrés ponctuellement à Pépinoville ou ailleurs, qui permettent de varier les intrigues, mais aussi d’étendre le registre de jeu de l’actrice. Avec essentiellement la même équipe que Pépinot, une autre émission de marionnettes, Chat Piano, prend le relais dans la même case horaire du dimanche, pour la saison estivale de juin à septembre 1954. Dans cette fiction en direct, en français et en version anglaise simultanée, sous la direction de Fernand Doré, Piano le chat côtoie un chien et des souris, mais aussi des objets qui s’animent et parlent, notamment « Mina, la poêle à frire qui se repose ». S’il est difficile d’identifier les nombreuses marionnettes animées par Paule Bayard dans l’univers de Pépinot, le partage des rôles des marionnettistes de Chat Piano n’est quant à lui aucunement documenté, contrairement aux archives de journaux qui commentent plus précisément son travail durant l’évolution du Grenier aux images, où voix et manipulation sont sous sa seule responsabilité.

Paule Bayard et Bobinette, vers 1960.

Le grenier aux images : la formule évolue, avec le même Frisson

Le 5 novembre 1952, Le grenier aux images remplace, dans la case horaire du mercredi à 17 h 30, le programme éphémère « Contes sur le bout des doigts », diffusé du 24 septembre au 29 octobre 1952. Cette émission combinait un discours pédagogique avec le récit d’un conte populaire, le tout amorcé par un objet du quotidien. Radio-Canada conserve ce concept avec le personnage de Grand-père Cailloux, joué par un André Cailloux trentenaire, maquillé et costumé en vieux conteur sage et érudit. Les récits et discours prennent dès janvier 1953 la forme d’un dialogue avec un lutin aux cheveux ébouriffés, Frisson. Paule Bayard insuffle à ce lutin venu d’un autre monde un tempérament curieux et moqueur, voire impertinent : son comportement et ses paroles testent les limites de l’autorité du Grand-père et de sa patience. Frisson habite secrètement – et le jeune public télévisuel est complice de ce secret – dans le grenier exigu de la maison du vieil homme, avec ses propres meubles et objets minuscules, dont une lanterne à chandelle, un piano et un buste de Beethoven.

À partir de la deuxième saison, Grand-père s’adresse à plusieurs lutins : deux personnages secondaires féminins s’ajoutent, Roseline et Picoulette, qui est la sœur de Frisson. Ces dernières supposent un travail de manipulation pour chaque main de la même marionnettiste et un travail de modulation vocale pour les différencier. En novembre 1956, une critique télévisuelle, Francine Montpetit, souligne que la gestuelle, les intonations et la drôlerie irrésistible de Paule Bayard sont devenues « l’attraction principale de ce programme ». Pourtant, la direction de Radio-Canada a failli ne pas renouveler son contrat en 1954. Elle souhaitait que les contes cessent d’être racontés pour être plutôt représentés en dramatiques, ce qui impliquait d’éliminer les marionnettes. Quand un épisode de la fin de la deuxième saison évoque le départ des lutins du grenier, les lettres de protestation des enfants font reculer la direction.

Toutefois, l’émission évolue vers des séquences de dramatiques au détriment de la narration, de plus en plus courte, de 1954 à 1957. Grand-Père Cailloux devient un présentateur secondaire du conte, même s’il est toujours accompagné de Frisson. Les contes sont situés dans des lieux fictifs (décors de Fernand Paquette). Pierre Boucher, Françoise Faucher, Jacques Létourneau, Percy Rodriguez, Pierre Thériault et Jacques Zouvi comptent parmi les acteurs et actrices qui incarnent les personnages. Pour la dernière saison, les contes voyagent dans l’histoire : dans la France du 15e siècle (avec les œuvres de François Villon ou la figure de Jeanne d’Arc), dans le royaume de Trébizonde, pays fictif inspiré par la Turquie du 18e siècle. André Cailloux reviendra épisodiquement avec son personnage après la fin définitive du Grenier aux images. Puis il participera, toujours avec Paule Bayard comme marionnettiste, à deux autres séries, plutôt brèves : Le professeur Calculus et Le moulin aux images.

Le professeur Calculus (1960-1961)

Plusieurs artistes de l’équipe de Pépinot et Capucine, dont Paule Bayard, participent à une autre émission elle aussi entièrement composée de nombreuses marionnettes à gaine sur castelet, Le professeur Calculus, présentée du samedi 30 janvier au 4 juin 1960, puis du 12 novembre au 17 juin 1961. Edmundo Chiodini en est le concepteur des marionnettes et des décors. Cette dramatique représente un précédent important comme expérience de spécialisation des tâches : les marionnettistes (soit Paule Bayard, Jean Boisjoli, Louis de Santis, Charles et Louise Daudelin) manipulent les marionnettes à gaine en silence, l’interprétation des voix étant confiée à Paul Buissonneau, André Cailloux, Marc Favreau, Micheline Gérin, Paul Hébert, Monic Normandin et Gilles Rochette. On retrouvera une telle spécialisation de l’interprétation dans le travail de Pierre Régimbald et Nicole Lapointe, avec Nic et Pic et Passe-Partout. La scénarisation du Professeur Calculus par Roger Garand et sa réalisation par Maurice Falardeau (puis Rolland Guay) sont très fantaisistes : au Pays des Cacahuètes, une famille royale typique des contes de fées est sans cesse menacée par des guerres ou des projets de destructions qui opposent deux scientifiques, le bienveillant professeur Calculus, et le savant fou, le professeur Microbos. Telle la famille royale, le professeur lui-même est suivi d’un valet, nommé Tricorne, ainsi que d’une autruche, Isabelle.

L’âne Cadichon et le chat Auguste dans Le moulin aux images (1960-1962)

Le moulin aux images (du 29 juin 1960 au 25 septembre 1962) est une tentative de relance du tandem André Cailloux et Paule Bayard. Cailloux y adapte des contes, notamment ceux d’Alphonse Daudet, dont il garde le moulin provençal comme décor. Il transpose les principaux personnages des Mémoires d’un âne de la Comtesse de Ségur, pour devenir le protagoniste et conteur Maître Pierre. Paule Bayard l’accompagne soit avec son âne Cadichon (marionnette conçue par Marielle Chevrier), soit avec le chat Auguste. Dès le début, l’émission de trente minutes est jumelée à une série dont chaque épisode est inséré dans la même demi-heure, En roulant ma boule (réalisation Jacques Giraldeau), avec Hubert Filden dans le rôle de Sautapic, un explorateur fantaisiste qui a pour intention pédagogique de faire découvrir aux enfants, à bord de sa voiture, la géographie canadienne, avec des tournages dans de nombreux sites touristiques de différentes provinces. André Cailloux justifie le montage, l’interruption de son histoire par le « Vent », qui apporte chaque fois le court film, comme Guy Sanche le faisait avec Télécino dans Bobino.

La marionnettiste expérimentée derrière Bobinette (1960-1973)

Paule Bayard cumule donc plusieurs contrats de marionnettiste en 1960, avec les hebdomadaires Le professeur Calculus et Le moulin aux images, qui commencent respectivement en janvier et en juin. En novembre 1960, elle se joint à une quotidienne, Bobino, avec une marionnette, Bobinette, alors que l’émission était depuis trois ans le solo d’un seul comédien incarnant le personnage éponyme. L’émission est centrée initialement sur un animateur, conteur et présentateur de courts métrages intercalés, Guy Sanche, qui joue un rôle de pédagogue et d’animateur comparable à celui d’André Cailloux. À cette époque, Paule Bayard intervient également comme comédienne de téléroman et pour plusieurs autres programmes jeunesse. Par exemple, cachée dans un grand costume de pingouin, elle incarne Arthur, l’ami d’un jeune inuit (Hubert Loiselle), dans une série qui a son nom pour titre, Kimo (1956-1957; 1958), narrée et écrite par le même scénariste que Le professeur Calculus, Roger Garand.

À la fin des années 1950, Paule Bayard est devenue l’actrice qui cumule le plus d’expériences comme marionnettiste des émissions jeunesse de Radio-Canada, dont le succès sans précédent de Bobino, auquel elle contribue en assurant l’essentiel du comique de l’émission, avec les effronteries de Bobinette. Elle réalise un rêve d’actrice, celui de pouvoir « jouer les petites filles détestables », après s’être préparée avec un rôle de lutin, Frisson, décrit comme « fantasque, goguenard et curieux ». Bobinette devient le rôle le plus marquant de sa carrière. À partir de mai 1973, Paule Bayard se voit forcée d’interrompre ses activités professionnelles, atteinte d’une grave maladie dont elle décédera à l’âge de 44 ans, le 28 novembre 1975. Christine Lamer, une jeune actrice ayant grandi sous le charme de l’espièglerie de Paule Bayard dans Bobino, lui succède et prolonge la jeunesse de Bobinette jusqu’en 1985.

BIBLIOGRAPHIE
BEAUCHAMP, Hélène, Le théâtre pour enfants au Québec 1950-1980, LaSalle, Hurtubise HMH, 1985, 320 p.
CROTEAU, Jean-Yves, Répertoire des séries, feuilletons et téléromans québécois : de 1952 à 1992, Québec, Publications du Québec, 1993, 692 p.
IMBEAULT, Sophie et Stéphane LABBÉ (collab.), Une histoire de la télévision au Québec, Montréal, Fidès, 2020, 531 p.
LAURENCE, Gérard (1981) « La rencontre du théâtre et de la télévision au Québec (1952-1957) », Études littéraires, vol. 14, no 2, p. 215-249.
ROY, Robert, Il était une fois Radio-Canada, Montréal, Del Busso, 2015, 412 p.
SCHRYBURT, Sylvain, De l’acteur vedette au théâtre de festival. Histoire des pratiques scéniques montréalaises. 1940-1980, Montréal, PUM, 2011, 395 p.
SOCIÉTÉ RADIO-CANADA, Radio-Canada, cinquante ans de grande télévision jeunesse, coffret de 4 DVD, Montréal, Imavision Distribution, 2010 [2002].
VIAU, René, « Frédéric Back : une nature témoin », Vie des arts, vol. 53, no 215, 2009, p. 29-36.
Archives de périodiques (en ordre chronologique)
ANONYME, « Le courrier d’Alec Pelletier. On entend maintenant cet écrivain de la radio, deux fois la semaine, au programme “Entre Nous, Mesdames” », La semaine à Radio-Canada, 19 avril 1953, p. 3.
ANONYME, « Courrier de Radiomonde », Radiomonde et télémonde, 11 juillet 1953, p. 13.
ANONYME, « L’horaire du réseau français et de la télévision », La semaine à Radio-Canada, 20 septembre 1953, p. 5.
ANONYME, « Les bruits de la ville », Photo-Journal, 19 décembre 1953, p. 4.
FLUET, Clément, « Paule Bayard, un lutin que les enfants n’ont pas voulu laisser mourir! », Radiomonde et télémonde, 24 avril 1954, p. 20.
ARAMIS, « Télé-critique. Les programmes pour enfants », Photo-journal, 5 juin 1954, p. 37.
ANONYME, « Le dimanche, 20 juin », La semaine à Radio-Canada, 20 juin 1954, p. 4.
ANONYME, « Trois nouvelles émissions pour les jeunes », La semaine à Radio-Canada27 juin 1954, p. 8.
ANONYME, « Une émission très populaire auprès du jeune auditoire », Radiomonde et télémonde, 11 décembre 1954, p. 12.
ANTOINE, Claude, « Que faire pour le goût de nos enfants? », Le Devoir, 30 juin 1955, supplément « Le foyer », p. 10.
ANONYME, « Kimo, l’Esquimau préféré des jeunes téléspectateurs », page titre avec photo légendée, La semaine à Radio-Canada, 14 juillet 1956, p. 1
CHAREST, Nicole, « Les Jongleurs de la Montagne », Progrès du Saguenay, 11 août 1956, p. 4.
MONTPETIT, Francine, « Sur toutes les scènes », Le Samedi, 17 novembre 1956, p. 18.
ANONYME, « Grand-père et le lutin frisson », Le Devoir, 16 février 1957, p. 20.
ANONYME, « Le grand attentif », Le Devoir, 18 mai 1957, p. 3.
ANONYME, « Dans la coulisse… “Le Grenier aux images” », Le petit journal, 2 juin 1957, supplément, p. 6.
FLUET, Clément, « La violette de la TV : Paule Bayard », Radiomonde et télémonde, 22 juin 1957, p. 12.
ANONYME, « Jeudi 7 janvier », La semaine à Radio-Canada, 2 janvier 1960, p. 4.
ANONYME, « Mercredi 17 février », Radiomonde et télémonde, 13 février 1960, p. 12.
CHALVIN, Michel, « Chez Professeur Calculus, on tourne! À bout de bras : naïveté, fantaisie et satire », La semaine à Radio-Canada, 20 février 1960, p. 2-3.
CHALVIN, Michel, « Un meunier, son âne et un coup de vent. Le moulin aux images », La semaine à Radio-Canada, 27 août 1960, p. 2.
CÔTÉ, Fernand, « Bobinette fait peau neuve », Ici Radio-Canada, 28 juillet 1973, p. 8.
R.-T., « De choses et d’autres. Qui se cache derrière Bobinette? », La Presse, 6 octobre 1973, cahier « Télé-presse », p. 21
RADIO-CANADA, « Archives : 65 ans d’engouement pour Bobino et Bobinette », Ici.Radio-Canada.ca, 6 octobre 2017, mis à jour le 6 octobre 2022.