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Biographies

Micheline Legendre, celle par qui tout arrive

par Michelle Chanonat

Née à Montréal en 1923, Micheline Legendre est une pionnière des arts de la marionnette au Québec. En 1948, elle fonde Les Marionnettes de Montréal, compagnie avec laquelle elle crée 80 spectacles, donne plus de 16 000 représentations pour 2,5 millions de spectateurs. Au moment de sa mort, en 2010, elle laisse 1170 marionnettes dont plus de 800 marionnettes à fil, maintenant conservées par l’organisme de diffusion Casteliers.

Après des études musicales en violon à l’école Vincent D’Indy, Micheline Legendre poursuit sa formation avec le violoniste Maurice Onderet, soliste à la Petite Symphonie de Montréal, un orchestre de musique de chambre. En 1945, sa rencontre avec Albert Wolff est déterminante.

Micheline Legendre, 1975

Micheline Legendre en 1975

La marionnette en héritage

Prisonnier de guerre allemand, Albert Wolff est déporté au Canada en 1941 et incarcéré à la garnison de Farnham. Fils d’un marionnettiste de Bavière, il met en place une troupe de théâtre de marionnettes avec d’autres prisonniers, un projet dans lequel il s’investit totalement. Il monte Docteur Faust, d’après Marlowe et Goethe. En 1945, la Société des Festivals de Montréal l’invite à représenter l’opéra de jeunesse de Mozart en un acte, Bastien et Bastienne, dans la plus pure tradition salzbourgeoise, dont la musique est interprétée par la Petite Symphonie de Montréal, où Micheline Legendre est violoniste depuis 1942. La musicienne passe derrière la scène pour animer les marionnettes et c’est la révélation.

Après avoir tenté de s’installer à Montréal et de fonder une compagnie permanente de marionnettes, Albert Wolff décide de s’exiler au Brésil en 1948, où il rejoint sa famille. Avant son départ, il lègue ses marionnettes à Micheline Legendre, en lui souhaitant de réussir là où il a échoué.

En 1948, Micheline Legendre fonde les Marionnettes de Montréal et donne son premier spectacle, Le plus rusé des hommes… c’est sa femme, d’après une chanson de folklore. Elle emploie des marionnettes à longs fils, un genre exigeant qui demande un solide apprentissage technique. Elle décide de partir pour l’Europe pour étudier auprès des grands marionnettistes, dont Jacques Chesnais en France, fondateur des Comédiens de bois. Jacques Chesnais est pour elle un véritable maître,  elle apprend avec lui la fabrication des marionnettes, la sculpture, la peinture, le modelage et la pose des fils, ce qu’on appelle l’ensecrètement, la construction et la peinture des décors. Madeleine Chesnais initie Micheline à la couture et aux costumes d’époque. Chez les Chesnais, Micheline Legendre reçoit une formation pratique, en mise en scène et progression dramatique, et théorique, en recherche historique, notamment sur les styles et les époques du théâtre, sur l’histoire de la marionnette dans le monde.

Elle effectue plusieurs stages en Autriche, en Sicile et en Angleterre. En 1951, elle représente le Canada et la France (en tant qu’élève de Chesnais) au Congrès international de la marionnette à Dusseldorff, en Allemagne. De retour en Amérique du Nord, elle complète sa formation auprès de la compagnie Sue Hasting’s Marionettes à New York, dont les manipulateurs possédaient, selon elle, une « technique absolument sans défaillance ».

Pendant cinq ans, de 1952 à 1957, elle mène deux carrières en parallèle : elle est marionnettiste et étudiante à l’Institut d’études médiévales Albert-le-Grand (Faculté de philosophie) où elle obtiendra une licence, puis assistante-professeur en histoire de l’art à l’université de Montréal.

Une collaboration fructueuse s’engage avec Wilfrid Pelletier, chef de l’Orchestre symphonique de Montréal qui, tous les ans commande à la marionnettiste la mise en scène d’un opéra : La Boîte à joujoux, de Debussy – dont la première américaine a lieu le 17 décembre 1955 avec l’Orchestre philharmonique de New York – ; Pierre et le Loup, de Prokofiev, en 1956 ; Hansel et Gretel, de Humperdinck, en 1957 ; Petrouchka, de Stravinsky, en 1958 ; Bastien et Bastienne, de Mozart, en 1959.

Un itinéraire exceptionnel

Tout au long de sa carrière, Micheline Legendre maintient une activité créatrice considérable, en produisant au moins un spectacle par année pour lequel elle assure la conception et la réalisation des marionnettes, la mise en scène et la manipulation. Les spectacles sont présentés au Québec, au Canada et à l’étranger, lors de tournées imposantes. Elle est la première marionnettiste vivante à exposer en solo au Musée Gadagne de Lyon, au Palais de Chaillot et à la Cité Universitaire de Paris (1959).

Parallèlement, elle se montre très active au sein de l’UNIMA. Elle participe aux congrès en URSS (1954), en Belgique (1958), en Chine (1960), en Tchécoslovaquie et en Pologne (1962). À Varsovie, lors du VIIIe Festival international de l’UNIMA, elle présente Le Rossignol et l’Empereur de Chine et remporte le Diplôme d’honneur.

Parmi les événements qui ont jalonné l’itinéraire des Marionnettes de Montréal, il faut souligner l’obtention des droits d’Hergé pour adapter Les Aventures de Tintin. Micheline Legendre monte trois spectacles : Le Temple du soleil (1964), Tintin au Tibet (1965) et Le Trésor de Rackham le Rouge (1966), qu’elle présente tous les étés pendant 7 ans au théâtre du Jardin des Merveilles, au parc Lafontaine à Montréal.

Riche de ses contacts (et grâce à sa ténacité légendaire), Micheline Legendre organise le premier Festival international de la marionnette, au Pavillon de la jeunesse durant l’Expo 67, pour lequel elle invite des marionnettistes européens, dont Jacques Chesnais, Albrecht Roser, venu d’Allemagne et le Théâtre de Spejbl et Hurvinek de Prague. Les Marionnettes de Montréal présentent deux spectacles, Le Rossignol et l’Empereur de Chine, d’après un conte d’Andersen et Il était une fois…

En 1969, Micheline Legendre fait entrer les marionnettes à l’université, en étant chargée de cours à l’Université de Montréal en Sciences de l’éducation, cours s’adressant aux professeurs en pré-scolaire. C’est pour elle une grande fierté.

Une impressionnante production télévisuelle

Dès ses débuts, en 1952, la télévision canadienne fait appel aux marionnettes pour ses émissions destinées à la jeunesse. On peut même dire que la télévision a grandement œuvré à la professionnalisation du métier de marionnettiste au Québec et au Canada.

Micheline Legendre a participé à la production de 52 films éducatifs et de 400 émissions pour la télévision, dont le célèbre Rodoudou, marionnette avec un lointain air de Spirou, créée pendant son séjour en France chez Jacques Chesnais, qui fut la vedette en 1956 d’une série télévisée de 13 épisodes. Pour La Boîte à Surprise, émission-fleuve diffusée pendant 16 ans à compter de 1956, qui a vu passer des comédiens tels que Paul Buissonneau ou le clown Sol, Micheline Legendre crée des marionnettes à leur effigie. En 1984, à la télévision de Radio-Canada, elle fait l’adaptation du conte de Marguerite Yourcenar Comment Wang-Fô fut sauvé.

Dans son garage transformé en atelier à Outremont, Micheline Legendre a formé des dizaines de marionnettistes et d’artistes. Nicole Lapointe et Pierre Régimbald, qui ont été de l’aventure dès les débuts, ont ensuite beaucoup travaillé à la télévision, notamment pour les émissions Passe-partout et Nic et Pic. André Laliberté, entré comme stagiaire aux Marionnettes de Montréal, a évolué pendant dix ans au sein de la compagnie, d’abord comme marionnettiste puis comme formateur, avant de créer sa compagnie, le Théâtre de l’Œil, en 1973. C’est grâce à Micheline Legendre que Claire Voisard et Petr Baran se sont rencontrés à Prague. Plus tard, ils ont fondé ensemble le Théâtre de l’Illusion, à Montréal.

Elle a publié Marionnettes, art et tradition, aux Éditions Leméac à Montréal en 1986, seul ouvrage au Québec retraçant l’histoire de la marionnette au Québec et au Canada.

L’excellence de sa carrière a été soulignée par plusieurs distinctions :
Chevalière de l’ordre national du Québec en 1991 ;
Membre d’Honneur de l’Association québécoise des marionnettistes en 1991 ;
Officier de l’Ordre du Canada en 1998 ;
Membre d’Honneur de l’UNIMA international en 1998 ;
Membre de la Société royale du Canada en 2001.