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Parcours croisés France-Québec

Le Québec est mon deuxième pays – Entrevue avec Pier Porcheron

par Evelyne Lecucq mai 2024

Comédien, metteur en scène, marionnettiste, fondateur de la compagnie poitevine Elvis Alatac, Pier Porcheron entretient depuis 2008 des liens si étroits avec le Québec qu’il considère cette province nord-américaine comme son deuxième pays. Lors d’une entrevue avec Evelyne Lecucq en mai 2024, il évoque les éléments qui constituent son attachement au Québec et plus particulièrement sa complicité avec Ubus Théâtre, dirigé par Agnès Zacharie.

Evelyne Lecucq : Vous travaillez, semble-t-il, aussi fréquemment au Québec qu’en France et votre compagnie, Elvis Alatac, apparaît comme coproductrice du dernier spectacle d’Ubus Théâtre, Mémoires d’un volcan. Quelles sont les origines d’une telle situation ?

Pier Porcheron : Mes rapports avec le Québec ont commencé lors de ma formation de comédien. J’ai étudié le théâtre au Conservatoire de Poitiers. C’était le début du parcours accompagnant à la professionnalisation et la structure faisait un échange avec le Conservatoire d’art dramatique de Montréal à l’occasion du 400e anniversaire du Québec. J’y ai connu Louise Lapointe qui travaillait pour ce conservatoire en tant que plasticienne, technicienne de scène. L’année suivante, en 2009, j’ai fait un stage avec elle pour parfaire ma formation de facteur de masques en cuir. J’avais commencé cet apprentissage entre ma deuxième et ma troisième année de conservatoire, dans le programme d’un grand stage international de commedia dell’arte en Italie. Les ponts entre le masque et la marionnette sont assez ténus. Je travaillais à ce moment-là avec Alain Le Bon, décédé depuis. J’ai été son dernier acolyte. Je m’intéressais beaucoup à la gaine, à son utilisation foraine et au théâtre en réduction que constitue le castelet, davantage qu’à la technique.

Le premier spectacle de ma compagnie, Il y a quelque chose de pourri, a été co-créé entre la France et le Québec, avec les Sages Fous à Trois-Rivières, et la toute première représentation a eu lieu au Québec. A cette occasion, j’ai retrouvé Louise Lapointe. Ça faisait quatre ou cinq ans qu’elle dirigeait le festival Casteliers. Je lui ai demandé de me présenter des compagnies de marionnettes. Parmi celles-ci, il y avait Ubus Théâtre. J’ai d’abord rencontré Pierre Robitaille, facteur de marionnettes et interprète. C’est un grand nom de la marionnette québécoise, il a contribué au succès de beaucoup d’émissions de télé. Au Québec, la marionnette à la télévision est très vivante, très demandée.

J’ai rencontré Pierre dans son atelier, je lui ai parlé de mon expérience, dit que je travaillais avec Alain Le Bon et il s’est exclamé qu’il le connaissait très bien, qu’il l’avait reçu dans un festival à Jonquières et qu’il l’adorait. Je cherchais un stage, Ubus Théâtre était en production d’un nouveau spectacle, Ernest T., et ça m’intéressait d’assister à la fabrication des marionnettes. En période de création, Agnès Zacharie a prévenu qu’elle n’avait pas de temps à accorder à un stagiaire et j’ai alors proposé de leur faire les repas ! J’avais travaillé comme cuisinier dans des festivals pour payer mes études de théâtre et je trouvais que c’était important dans une troupe. J’ai donc commencé comme « cook » à Ubus Théâtre et j’ai monté depuis l’ascenseur social de la compagnie [rire].

En fait, ils étaient en laboratoire sur ce spectacle-là. Le texte était coécrit par Francis Monty du Théâtre de la Pire Espèce. Je l’ai rencontré ainsi que Marcelle Hudon, Pierre Robitaille et plusieurs personnes qui ont façonné l’univers plastique et artistique des vingt dernières années dans la marionnette au Québec. J’ai été assez fasciné par la façon dont ils créaient. C’était foisonnant de tous les côtés et en même temps tout le monde avait l’air de s’accorder, de suivre la même direction. J’ai trouvé une qualité d’écoute et un fonctionnement de travail qui n’existait pas, je crois, en France à l’époque.

La génération qui émerge, les millenials, est maintenant nourrie de cette bienveillance qui est naturelle chez les Québécois. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tension, pas de problème, mais ça ne s’exprime pas de la même manière que sur le territoire français. Il y a une autre façon d’appréhender les choses et il y a une politesse cordiale qui cimente tout parce que c’est la base pour pouvoir avancer. Si on commence à s’engueuler, ça crispe tout le monde et personne n’a envie de continuer à travailler ensemble. J’ai été surpris par cet état de fait et il m’a plu.

J’ai apprécié le soutien de tous les artistes qui gravitaient autour d’Agnès, pas parce que sa personne serait plus importante, mais pour lui demander à cette occasion : « comment t’accompagner dans ce que tu pressens, ce que tu veux, comment je peux te faire accoucher le mieux possible et qu’on ait un beau bébé toutes et tous ensemble ? ». Cette polyvalence est très agréable et elle me correspond. Je suis polyvalent par la force des choses, mais aussi dans l’âme.

J’aime fabriquer. Je me suis aperçu que, dans mon travail de comédien et de metteur en scène, avoir les mains occupées m’aide, me permet de trouver des idées. J’en parlais récemment avec Valérie Lesort et on remarquait que fabriquer des éléments oriente la mise en scène. J’ai également été très séduit par le petit théâtre dans un autobus, le caractère atypique de l’endroit, autrement dit faire du théâtre ailleurs que dans des lieux dédiés. A ce moment-là, j’étais moi-même en train de travailler sur Il y a quelque chose de pourri qui se joue dans une sorte de petit castelet complètement brinquebalant.

Il y a quelque chose de pourri, Elvis Alatac
Il y a quelque chose de pourri, Compagnie Elvis Alatac

Je suis très attiré par les lieux en dehors des salles de spectacle. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas du tout le plateau. Plus j’avance dans mon expérience artistique, plus je trouve que le théâtre en soi est un endroit formidable, qu’il faut se battre pour réinvestir les théâtres et pas simplement les autres lieux, mais je suis très attaché à ces espaces inhabituels alors qu’ils comportent beaucoup de contraintes.

Je me suis retrouvé dans cette équipe et dans l’écriture de Francis Monty. J’ai ressenti un cousinage. Avec mon Hamlet, je faisais plus ou moins la même chose, dix ans après, que ce que Francis avait fait avec Ubu sur la table en théâtre d’objets. À six mille kilomètres de distance, nous étions sur la même voie. Ses propos me touchaient. Jamais je ne les aurais écrits de cette façon-là, mais sa démarche m’a vraiment aidé dans mon parcours d’interprète et de créateur.

© Photographies issues du compte Facebook de la compagnie Elvis Alatac, légendées « Petite Neige »  publiées en octobre 2020.

EL : Et à un moment donné, vous endossez un rôle dans Ernest T.

PP : En 2009, on s’est retrouvés au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes, à Charleville. Ubus Théâtre présentait L’Écrit, je jouais avec Alain Le Bon. J’ai participé à un match d’impro organisé par le festival, Francis Monty en faisait partie et je l’ai laminé [rire] ! Lorsque l’interprète d’Ernest T. a été obligé de partir, j’ai dit à Agnès que j’étais prêt à faire une audition pour reprendre le rôle mais Francis a prévenu Agnès qu’il n’y aurait pas de problème. Je me suis retrouvé à incarner un enfant Asperger avec des oreilles immenses. Francis Monty avait poétisé ce personnage d’une très belle manière. Ernest était né avec des oreilles surdimensionnées, il était hypersensible aux sons, il entendait tous les bruits du monde, il pouvait capter la voix de son père absent.

EL : Est-ce que la troupe québécoise n’a eu aucune difficulté économique à employer un comédien français ?

PP : J’ai été employé sous le régime québécois. Je faisais des aller-retours.

EL : Qui finançait vos voyages ?

PP : Moi-même certaines fois, ou l’Office franco-québécois de la jeunesse qui faisait un partenariat, à la fin des années 2000, avec Pôle Emploi pour donner des bourses. J’en ai obtenu une de trois mois, de mille euros par mois, pour voyager là-bas. Mes billets d’avion étaient payés.

EL : Et par la suite ?

PP : J’ai également reçu plusieurs bourses de l’Institut français qui m’ont aidé. En France, on a un souci pour exporter des artistes vers l’étranger. Il faut justifier que ce n’est pas juste un « one shot », mais que ça s’inscrit dans un parcours sur le long terme. Les Québécois n’ont pas ce problème-là, ils ont des bourses de voyage beaucoup plus facilement. Ça doit être aussi parce que la diffusion au Québec est très restreinte alors qu’il y a énormément de structures d’accueil en France. Ensuite, il y a le coût des cachets français. Nous bénéficions de l’intermittence alors que les comédiens canadiens sont considérés comme travailleurs autonomes. Ils n’ont pas droit au chômage.

Sur la dernière création d’Ubus Théâtre, ma compagnie est en coproduction, mais elle n’a pas apporté suffisamment d’argent pour que je sois rémunéré normalement. Avec les conversions dans les deux sens entre euros et dollars canadiens, c’est compliqué. Agnès aurait pu prendre une autre personne sur Mémoires d’un volcan, mais on voulait retravailler ensemble. Précédemment, sur Caminando & Avlando, j’ai assuré finalement ce qu’on peut appeler une co-mise en scène, côté français, avec Martin Genest côté canadien. Je n’étais pas en coproduction avec ma compagnie, je le faisais à titre personnel. Comme Ubus Théâtre était artiste associé à La Comète de Châlons-en-Champagne, c’est cette dernière, en tant que producteur délégué, qui m’employait. C’était possible parce qu’il y avait une Scène Nationale derrière.

EL : Votre complicité s’est accentuée sur ce projet grâce aux conditions économiques, mais sans doute principalement grâce à vos affinités artistiques…

PP : Oui, j’avais l’envie de travailler avec cette compagnie amie et de continuer à travailler avec des Québécois. Je tournais énormément avec Il y a quelque chose de pourri, je faisais des allers-retours entre la France et le Québec. En fait, jusqu’en 2013 environ, j’ai habité au Québec. J’ai fini de créer ll y a quelque chose de pourri au Québec, puis je suis revenu pour sa première française à la fin de l’année 2012. Je l’ai beaucoup tourné sur le territoire et ça continue. J’ai l’espoir de pouvoir le recréer en partant de la même base et en l’augmentant avec d’autres tragédies de Shakespeare. Là, je vais jouer ll y a quelque chose de pourri au Québec. C’est un duo et mon partenaire sera un Québécois, Fabrice Tremblay, que j’ai connu quand il faisait la régie de Ernest T. Il est musicien. Tout s’imbrique. On a commencé à créer une petite famille…

J’ai aussi travaillé plus particulièrement avec Francis Monty, au Québec. J’ai vraiment des accointances avec ces gens-là. Artistiquement, je ne sais pas ce que j’apporte, mais je crois qu’on a une complémentarité.

Pour Mémoires d’un volcan qui a commencé en 2020, juste avant la pandémie, c’est Martin Genest qui était à la mise en scène. Martin a travaillé longtemps avec Agnès en tant qu’interprète et marionnettiste pour le Théâtre de Sable (c’est là qu’ils se sont rencontrés), compagnie créée par Josée Campanale et Gérard Bibeau. Martin s’est orienté vers la mise en scène ensuite en montant sa compagnie, Pupulus Mordicus, avec Pierre Robitaille et en travaillant avec le Cirque du Soleil. Il a participé à quasiment toutes les mises en scène d’Ubus Théâtre, mis à part Ernest T. Donc, Martin voulait utiliser de la magie et moi je travaillais à ce moment-là sur un spectacle intitulé Un homme à abattre, qui n’a pas vu le jour à cause de la pandémie. L’homme en question est enfermé dans un carton et réussit à en ressortir. J’explorais le théâtre noir sur ce spectacle, j’ai suivi ensuite un micro-stage sur cette technique à La Nef de Pantin avec Pascal Laajili – le créateur lumière de Valérie Lesort et Christian Hecq – et Eric de Sarria de l’ancienne troupe de Philippe Genty.

Le théâtre noir est très contraignant, mais il me plaît énormément. Je suis à l’inverse de ce que j’ai fait, très à vue, dans Hamlet ou dans d’autres spectacles. Mais le fait d’être complètement caché me séduit vraiment. Donc, j’ai apporté une petite expertise à Martin pour fabriquer du théâtre noir dans l’autobus avec tout ce que ça impose. Je crois qu’on a réussi. Je suis venu en tant qu’interprète, j’ai apporté une idée qui reste bien sûr une technique avec laquelle il faut ensuite jouer. Ce qui est agréable avec Ubus, c’est qu’on fabrique les choses ensemble, chacun a son mot à dire.

(tiré du compte Facebook de la compagnie Elvis Alatac, 14 mai 2023)

Ça y est, on a créé le spectacle Mémoires d’un volcan avec la compagnie Ubus Théâtre au Théâtre Périscope à Québec! Depuis deux mois on est en salle de répétitions, dans l’atelier, dans l’autobus pour l’entrée en salle, parce que les spectacles de Ubus Théâtre se jouent dans une autobus scolaire jaune!

EL : C’est ce qui a amené Elvis Alatac à être coproducteur ?

PP : L’essentiel du crédit artistique revient à Ubus Théâtre. Ma compagnie a été coproductrice pour des raisons économiques. J’avais envie de nous engager au-delà de ma personne. Ce qui nous permettait également de justifier d’un parcours de création auprès de l’Institut français, de pouvoir faire quelques demandes de subvention, d’apporter un peu d’argent et d’aider la production, mais nous n’avons pas décidé ensemble d’un texte ou d’une scénographie et le thème est vraiment d’Agnès. Au tout début, il était prévu que je fasse la co-mise en scène avec Martin Genest, puis Agnès a constaté qu’il fallait jouer à deux. Elle m’a proposé d’être interprète manipulateur. Ça correspondait totalement à mon envie : créer mes propres spectacles, mais revenir à ce pourquoi j’ai commencé à faire du théâtre, c’est-à-dire être comédien. Je travaillais également au même moment avec Simon Delattre pour Tout le monde est là, ça s’est bien aligné.

Publication Facebook de Elvis Alatac à l'occasion du FIAMS

EL : Si vous comparez votre travail d’interprète dans d’autres compagnies, à l’exception de la vôtre, est-ce que vous constatez des particularités au Québec, en dehors de l’attention plus grande aux personnes que vous avez déjà évoquée ?

PP : Il y a une façon d’appréhender la scène, les métiers du spectacle, qui n’est pas la même qu’en France. C’est très respectueux, mais aussi beaucoup plus contingenté, dans le sens où il y a un côté très pragmatique, très anglo-saxon : « Je viens ici pour travailler, chacun fait son boulot. Tu me demandes de faire ça, je te le fais. ». C’est net. Je l’ai remarqué dès le début, dans mon premier échange avec le conservatoire. En France, il y a un côté plus brouillon, qui cherche, qui fait troupe. On n’avance pas au même rythme. Je trace des très grandes lignes, je ne suis pas sociologue. Il n’y a pas un état d’esprit meilleur que l’autre. Je ne peux même pas vous dire que j’ai une préférence. Je crois que j’ai tellement intégré le fait d’être dans ces deux espaces-là que j’en ai besoin, ça fait partie de moi maintenant. Ça m’a apporté une façon d’être beaucoup plus souple, adaptable à des situations et des façons de faire diverses. On va dire qu’on est beaucoup plus flexibles sur certaines choses en France. Quand j’étais au conservatoire à Montréal, c’est pourtant le pays de l’improvisation, il était impossible d’en proposer, on n’en voulait pas : « c’est écrit comme ça, on va faire comme ça ».

Publication Facebook Elvis Alatac : L'autobus de Ubus théâtre

Je trouve qu’il y a une très grande technicité québécoise qui peut conduire paradoxalement, sur une scène, à des choses déjà vues, parce qu’il y a eu un peu moins de temps de travail, donc on va appliquer « des recettes ». Je ne veux pas dire pour autant qu’il n’y a aucune inventivité. Peut-être qu’en France, il y a des choses plus surprenantes mais, en tant que Français, je ne vois pas forcément les redondances dans les manières de jouer, les manières de faire…

A l’exact inverse, il y au Québec des gens hyper ouverts d’esprit et complètement prêts à innover dans le milieu de la marionnette : « Pourquoi on ne ferait pas ça ? On a le droit, on peut l’essayer ». A l’opposé du Français, attaché aux traditions, à cause du poids culturel et générationnel qui s’est retransmis. Ce sont des généralités, bien sûr….

Le Québec est mon deuxième pays. J’y ai vécu, mon épouse est québécoise, même si on s’est rencontrés en France, j’y passe beaucoup de temps, je connais bien la scène montréalaise et québécoise en marionnette, je suis entre les deux pays. Artistiquement, il continue à être mon école, ma découverte d’autres compagnies et d’un pays qui est une autre francophonie. Il m’a permis de comprendre que le français de France est un des modes d’être de la francophonie, au même titre que le congolais ou tout le paysage francophone mondial. Il ne peut plus être considéré comme le mètre étalon.

Publication Facebook Elvis Alatac, visite à l'érablière

EL : Est-ce que le vocabulaire employé par les marionnettistes est le même ? Vous n’avez jamais eu de problèmes de compréhensions linguistiques ?

PP : S’il y a des choses que je ne comprenais pas, j’ai très vite traduit. Par exemple, les Québécois ne disent pas « marionnette hybride », mais « humanette ». 

EL : Ni « kokoschka » ?

PP : Si mais, même en France, tout le monde n’utilise pas ce mot. « Marionnette hybride » est la manière dont Philippe Genty l’a renommée et tous ceux qui sont passés par la compagnie Philippe Genty ou qui ont fait des stages avec Eric de Sarria disent « marionnette hybride ». Moi, même si c’est plus long et que ça fait un peu barbare, j’aime beaucoup ce terme parce qu’il la définit avec justesse. Les Québécois disent aussi « marionnette sur tige » pour parler de formes de « marotte ». Encore une fois, ils vont inventer parce qu’ils ne sont pas très attachés aux termes. Ou « marionnette à main prenante » quand tu as le contrôle dans le dos, ce que faisait beaucoup le Théâtre de Sable. Ça se comprend bien : c’est la main du manipulateur qui prend les objets.

Artistiquement, le Québec m’a appris beaucoup sur la façon de me placer dans un spectacle. Pas tellement sur mon imaginaire, mais davantage sur une façon d’être au théâtre, sur une méthode pour mener des productions. On ne l’apprend pas à l’école, on l’apprend sur le terrain. Sur Tout le monde est là, on était nombreux, une équipe de rêve, avec une belle synergie. Je suis arrivé avec des choses carrées, plus musclées, parce que je sortais du travail avec Agnès.

On connaît parfaitement son texte dans les écoles en France mais il faut toujours réinventer. Il faut réinventer en étant toujours dans le même sillon.

EL : Avec la tête dans les deux pays, vous seriez partant pour d’autres coproductions ? Pas seulement économiques…

PP : C’est l’économie du cœur. Si de jeunes artistes veulent tenter l’expérience, il faut qu’ils soient guidés par une envie sensible qui va nourrir l’artistique. Une envie de découverte.

Je donne régulièrement des master class à Montréal, à l’université de Concordia et au Dawson College. Je dirigeais récemment un stage sur le comique. J’ai adoré enseigner. J’avais des étudiants québécois anglophones et francophones, c’était enthousiasmant. J’ai été content qu’on passe outre certaines choses d’ordre culturel ou générationnel (je voulais qu’ils se touchent pour travailler des chœurs). Inutile de prendre des pincettes. Du moment que les choses sont dites avec bienveillance, que quelqu’un qui ne veut pas ne fait pas (c’est sa personne qui est pénalisée), on a pu vivre des superbes moments. J’ai adoré en général enseigner et plus particulièrement dans un milieu québécois anglophone. J’ai trouvé passionnant de les emmener dans des endroits où ils ne sont jamais allés : ils n’ont pas un « background » européen. C’est à travers l’enseignement que j’ai trouvé des notions artistiques différentes. A l’intérieur d’une création, il n’y a qu’en sortant la tête hors de l’eau que l’on se dit : « Ah tiens, j’ai appris ça ! » alors que, lorsqu’on doit transmettre, on le sent immédiatement.

1 Alain Le Bon (1945-2012), comédien, auteur, metteur en scène, a créé en 1978 à Saintes (Charente-Maritime) la compagnie Cirkub’U avec Michelle Gauraz (1952-2011). Lui était un bonimenteur haut-en-couleurs à l’avant-scène, Michelle, remarquable manipulatrice, jouait les facéties de l’indomptable Punch dans le castelet jusqu’à leur séparation au début des années 2000 (ndlr).
2 Lors du Microfestival de marionnettes inachevées, en 2011 (ndlr).
3 Francis Monty a écrit le texte et collaboré à la mise en scène du spectacle Ernest T. (ndlr).
4 Pièce écrite par Mike Kenny pour la compagnie française Rodéo Théâtre, mise en scène en 2023 par Simon Delattre.
Agnès Zacharie et Pier Percheron

Agnès Zacharie et Pier Percheron, photo tirée du compte Facebook de la compagnie Elvis Alatac, publiée le 15 mai 2023