Durant les trois premières décennies de la télévision québécoise et canadienne (de 1952 à 1980), les marionnettes connaissent un financement sans précédent pour des séries de fiction destinées au jeune public, dans un contexte de démocratisation de l’art et de l’éducation.
La télédiffusion canadienne, ce moyen d’affirmation culturelle, ne commence qu’en 1952. Un essai de la Société Radio-Canada est présenté devant les élus fédéraux le 30 novembre 1951, avec les marionnettes de Louise et Charles Daudelin. Le 7 septembre 1952, après six mois d’essais de différents types de programmes, ce sont aussi des marionnettes qui sont retenues pour inaugurer la toute première série de fiction : le jeune Pépinot et Capucine, sa sœur.
Le lendemain, le 8 septembre, à Toronto, Uncle Chichimus de John Conway est en ondes à la télévision de CBC, aux côtés d’un présentateur météo. C’est le début des dialogues entre une vraie personne et une marionnette à gaine, une formule inspirée des États-Unis qui sera récurrente dans plusieurs autres séries, en anglais puis en français, et même dans les deux langues. Guy Beauregard manipule la souris anglophone Suzie (voix de Florence Schreiber) dans l’émission bilingue Chez Hélène (CBC, 1959-1973).
Pépinot et Capucine © Fonds AQM, Montréal
Dans la décennie 1950, la plus importante série de marionnettes, comme en témoigne sa traduction en anglais dès 1954, demeure Pépinot et Capucine (1952-1957). Chaque semaine, c’est un nouveau spectacle filmé, avec de nouvelles marionnettes, décors, castelets et accessoires, et donc beaucoup de ressources en scénographie. Au centre de ce milieu se trouve Edmondo Chiodini, avec son atelier, surnommé la Chiodinerie, qui sera bientôt un vaste département de production d’émissions jeunesse.
La voix et la manipulation d’un personnage, dans Pépinot et Capucine, ne sont initialement pas dissociées. À un petit cercle d’interprètes connus au théâtre, Charlotte Boisjoli, Jean Boisjoli, Fernand Doré et Marie-Ève Liénard, se joindront d’autres artistes dont, dès la première saison, Paule Bayard. Cette dernière est alors l’une des premières actrices à se spécialiser comme marionnettiste télévisuelle. Outre la plupart des personnages féminins secondaires de Pépinot, elle anime le lutin Frisson puis d’autres marionnettes en dialogue avec André Cailloux dans Le grenier aux images (1952-1957).
En 1960, Paule Bayard crée le rôle de Bobinette, changeant la nature du solo télévisuel de Guy Sanche, qui incarne le rôle-titre de Bobino depuis 1957. Avec Michel Cailloux à la scénarisation, cette marionnette à gaine joueuse de tours contribue à la longévité record de cette quotidienne qui domine alors les ondes.
Les années 1970 connaissent une diversification des séries sous la concurrence de plusieurs chaînes. Le canal privé Télé-Métropole tente des séries pour enfants plus légères, dont certaines avec des marionnettes. De 1976 à 1979, Éric Mérinat manipule un gros monsieur colérique, Monsieur Tranquille, avec la voix de Roger Giguère. C’est tout de même Bobinette qui perdure dans la même case horaire, à Radio-Canada. Sur cette même chaîne, sont présentées les mémorables Nic et Pic (1972-1977), les deux souris voyageuses de Pierre Régimbald et Nicole Lapointe, assistés de Gaétan Gladu. Leur compagnie théâtrale est ensuite la responsable du volet des marionnettes du grand projet éducatif de Radio-Québec, Passe-Partout, pour plusieurs saisons à partir de 1977, rehaussant le réalisme des marionnettes à gaine. Durant les décennies 1970 et 1980, à Radio-Canada, un autre complice de Pierre Régimbald, Claude Lafortune, développe son propre médium, des sculptures de papier manipulées à vue.