Le Théâtre international de Montréal La Poudrière a été en activité de 1958 à 1982 et il demeure désaffecté depuis plus de 40 ans. Au milieu du secteur boisé du parc Jean-Drapeau, on peut encore reconnaître ce dépôt fortifié de poudre à canon militaire des années 1820 et les mots « la poudrière » en fer forgé. Sa transformation en un théâtre de poche de 180 places, rénové avant son inauguration en 1958, en fait un lieu d’accueil significatif, toutes proportions gardées, pour les marionnettistes à Montréal. Le site comporte la grande poudrière elle-même, mais aussi deux petites constructions secondaires aux abords d’un mur d’enceinte fortifié. L’une servira de théâtre de marionnettes de plus ou moins 60 à 70 places, aménagé et rénové pendant une quinzaine d’années, jusqu’en 1973, selon le rêve initial de la directrice-fondatrice, Jeanine Charbonneau Beaubien (1919-2016).
Théâtre La Poudrière, île Sainte-Hélène - juin 1966, Archives de Montréal. Copyright : Creative Commons by-nc-sa
Un projet marqué par la pratique amatrice et par de grands idéaux
Jeanine Beaubien est issue des réseaux des pratiques amatrices qui ont préparé la professionnalisation du théâtre au Québec et au Canada. Pratiquant l’art dramatique depuis son enfance à Montréal, elle cofonde dans la vingtaine la Société d’art dramatique d’Arvida, dans la région de Saguenay. Au moment des débuts de La Poudrière, dont elle sera la directrice tout le reste de sa vie active, on la présente comme « une vedette de la scène et de la TV ». L’actrice siège aussi sur le conseil exécutif du Festival d’art dramatique du Canada. Ce grand organisme pancanadien bilingue, d’abord nommé Dominion Drama Festival (DDF), est mis sur pied en 1932 dans un contexte de quasi-absence de pratiques théâtrales professionnelles au pays. La principale tâche de Jeanine Beaubien est de « dénicher des commanditaires, ainsi que des annonceurs, pour les programmes souvenirs », ce qui la prépare à réussir comme directrice de compagnie. Elle côtoie au DDF un autre artisan important du développement du théâtre comme loisir à Montréal, Claude Robillard, qui est alors le président de la section montréalaise du festival et le directeur du Service des parcs de la Ville de Montréal. Il est à ce deuxième titre l’instigateur de la Roulotte (1953-), un organisme théâtral initialement amateur et axé sur l’animation. C’est Robillard qui trouve le lieu de la poudrière et permet à Jeannine Beaubien d’en obtenir la location auprès de la Ville pour la somme symbolique d’un dollar par an. La rénovation majeure du lieu parvient à se faire, soutenue essentiellement par la philanthropie et des commandites, car elle correspond à des idéaux partagés au sein des élites politiques et philanthropiques de l’époque à Montréal, époque qui est aussi celle de l’apparition du Conseil des Arts du Canada (CAC) en 1957. La Poudrière a d’ailleurs touché une généreuse subvention dès les premiers octrois fédéraux du CAC, en 1958.
Le projet de La Poudrière vise à rapprocher les francophones et anglophones dans l’essor de leurs pratiques théâtrales, en plus de faire rayonner par le théâtre le cosmopolitisme montréalais. Dans un contexte d’inachèvement de la professionnalisation et de l’institutionnalisation des métiers de la scène, le Théâtre a réussi le pari risqué de loger pendant toute son existence quatre troupes (appelée « sections ») de stabilité et de statuts professionnel ou amateur inégaux. Il compte d’abord une troupe francophone et une anglophone, mais aussi une troupe germanophone aux membres relativement stables, nourrie par la vague d’exil d’artistes ayant fui la Deuxième Guerre mondiale, ainsi qu’une section hispanophone instable et purement amatrice, sans cesse renouvelée par les vagues d’immigration latino-américaine des décennies 1960 et 1970, essentiellement cubaine les premières années. Une telle compagnie multiculturelle est une exception dans l’histoire, et sa directrice avait l’intention initiale d’atteindre rapidement neuf langues représentées par autant de directrices ou directeurs « de section », lors de l’inauguration de la salle.
Théâtre La Poudrière, île Sainte-Hélène - juin 1966, Archives de Montréal. Copyright : Creative Commons by-nc-sa
Une annexe longtemps inachevée et une suite de partenariats avec des marionnettistes
Il est connu que La Poudrière est inaugurée sans marionnettes, avec The Rainmaker (mise en scène de Tolly Reviv, texte d’Ogden Nash) de la troupe anglophone, dirigée par Susan Fletcher, le 10 juillet 1958. Mais avant même l’inauguration de La Poudrière, Micheline Legendre est à la tête d’une programmation pour enfants de ce théâtre, avec les Marionnettes de Montréal, qui devait être active « du 15 décembre au 15 janvier, durant les vacances de Pâques et, dans l’annexe, durant la saison d’été », selon ce qu’on lit dans les journaux. Seul se concrétise un partenariat éphémère, à deux moments ponctuels. Peu après l’inauguration, le 26 juillet, on annonce dans les journaux le deuxième spectacle de La Poudrière, Une aventure sur la lune, des Marionnettes de Montréal, joué trois fois par jour. Dans cette pièce écrite par Marie Racine, la metteure en scène Micheline Legendre est secondée par Guy Beauregard, comme concepteur des décors, ainsi que de Nicole Lapointe, Sylvie Gélinas, Jean Morrison, Michèle Lalonde, Bernard Sicotte et Henriette Major-Dubuc. Les représentations prennent fin dès le 10 août, la veille du départ de Micheline Legendre pour la Belgique, au Congrès international des marionnettes de Liège. Elle ne revient à La Poudrière que trois ans plus tard, en octobre-novembre 1961, avec Nikos et le trésor, pour un public de 5 ans et plus. Le spectacle fait l’objet d’une rare critique détaillée. Jacques Keable est très négatif à l’égard de la production en lever de rideau, une historiette amoureuse sur une musique de Mozart (probablement Bastien et Bastienne), mais il décrit avec enthousiasme la pièce principale, située dans le monde merveilleux du dieu Neptune, dans un fond marin fantaisiste.
Des considérations financières et matérielles justifient le désistement des Marionnettes de Montréal, pour ce qui est de s’établir à La Poudrière, notamment la vétusté de l’annexe, « un hangar » qu’on a nettoyé sans le rénover et dans lequel on a « installé une scène improvisée ». Beaubien concède la gêne causée par la petite poudrière : « l’endroit était un peu triste et l’odeur de moisi que dégageaient les vieilles poutres n’était pas très agréable […] ». Guy Beauregard ne renonce pas : un peu plus tard, il réaménage l’annexe en une salle de 64 places, et il y dirige une équipe de marionnettistes durant les étés 1964 et 1965. Il convainc pour cela la directrice du lieu de « gruger » un peu des fonds dédiés aux productions pour adultes. Il bénéficie de la collaboration de Felix Mirbt et de Maleen Burke, qui combinent différentes techniques de manipulation de marionnettes à fils, à bâtons et à main. Ces spectacles sont cependant peu annoncés et ne laissent presque aucune trace dans les archives de journaux.
L’achèvement du théâtre de marionnettes de La Poudrière : le germe du Théâtre de l’Avant-Pays
A lieu en 1973 une véritable rénovation de l’édifice et des installations de ce qui devient officiellement le Petit Théâtre de marionnettes de la Poudrière, d’une jauge de 70 places. Une subvention, qui couvre aussi l’achat d’équipement d’éclairage et de sonorisation, rend les travaux possibles en tant que projet de travail d’été en ingénierie pour des étudiants de l’Université McGill, par l’intermédiaire du fils de Jeanine Beaubien, qui y étudie en première année. Guy Beauregard découvre le potentiel d’une production de fin d’études du module de théâtre de l’Université du Québec à Montréal : mise en scène par Michel Fréchette, Pigrasse et le roi de la magie, sur un texte de Marie Gonthier et avec la collaboration de Francine Lachance et Paul Vanasse, est une création qui inaugure le Petit Théâtre, du 3 juillet au 21 août 1973. Juste avant, du 26 au 30 juin, dans la salle principale, est accueillie une production du Mermaid Theatre de Halifax (Nouvelle-Écosse), Micmac Legends, qui suscite, comme les spectacles de marionnettes subséquents à La Poudrière, une critique relativement détaillée dans les journaux. L’été 1973 est le début de six années stables de spectacles de marionnettes, en juillet-août et en décembre-janvier, sous la direction de Michel Fréchette comme metteur en scène et animateur, avec des représentations de chaque pièce en français et en anglais.
Dans un premier temps, le groupe de jeunes marionnettistes ne renonce pas à la tradition des adaptations de contes de fées durant les Fêtes : en décembre 1973 et en reprise un an plus tard, Fréchette adapte La Belle au Bois-Dormant, d’après le conte de Perreault, assisté de Colin Chabot, Francine Lachance et Pierre Montplaisir. En décembre 1976, au Petit Théâtre de marionnettes de la Poudrière, Michel Fréchette, Diane Bouchard, Francine Lachance, Michel P. Ranger et Johanne Rodrigue deviennent une compagnie de production distincte, le Théâtre de l’Avant-Pays, lors de leur création d’une pièce de Diane Bouchard, inspirée du folklore québécois, Il était une fois en Neuve-France (en français seulement). L’Avant-Pays priorise l’expérimentation avec le médium de la marionnette, notamment avec la manipulation à vue, et privilégie une dramaturgie de création propre à ce médium. Le groupe signe ensuite, en juillet 1977, L’Enfant de l’Étoile, une adaptation musicale d’un conte d’Oscar Wilde par Michel Fréchette, jouée en français et en anglais, avant de chercher d’autres lieux d’accueil. Dès 1978, le théâtre de la Poudrière diminue de plus en plus son nombre de productions et de représentations par saison. Une reprise du Petit monde de l’île Sainte-Hélène tient lieu de dernier spectacle pour enfants, avant la fermeture en 1982. Cette revue théâtrale de Michel Fréchette est le spectacle qu’il aura le plus joué dans ce lieu (étés 1975, 1976 et 1978). Le décor et les marionnettes étaient conçus et fabriqués par Joël Chabot, Francine Lachance et Michel Fréchette, les costumes, par Johanne Lemieux.
Précoce et tenace, l’engagement de La Poudrière à réserver un espace, quoique secondaire, à l’accueil des arts de la marionnette en fait l’un des lieux où ont travaillé des pionniers de cet art, notamment Guy Beauregard, et Micheline Legendre. L’aboutissement tardif d’un lieu adéquat réservé à cet art finit par donner naissance au Théâtre de l’Avant-Pays, l’une des premières compagnies québécoises spécialisées en création pour la jeunesse qui réussira à s’inscrire dans la longue durée.
Bibliographie
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CADIEUX, Alexandre, « Annexe 1.A Le Dominion Drama Festival (1932-1939; 1947-1978) », dans Gilbert David (dir.), Le théâtre contemporain au Québec : 1945-2015, Montréal, PUM, 2020, p. 85.
LEGENDRE, Micheline, Marionnettes, Art et Tradition, Montréal, Leméac, 1986.
MCKAY, Kenneth B., Puppetry in Canada : An Art to Enchant, Toronto, Ontario Puppetry Association Publishing Company, 1980.
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THÉÂTRE DE L’AVANT-PAYS, « Historique », Théâtre de l’Avant-Pays, site hors ligne, 2015-2019.
VAÏS, Michel, « Quand on jouait dans l’île Sainte-Hélène. La poudrière réincarnée », [compte rendu critique du livre de Jeannine Beaubien], Jeu, n° 95, 2000, p. 58-62.
Archives de journaux numérisés par BAnQ (en ordre chronologique)
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ANONYME, « Au Théâtre de La Poudrière », Le Devoir, 4 juillet 1958, p. 7.
ANONYME, « Jeudi soir, “The Rainmaker” : La Poudrière ouvre ses portes », Le petit journal, 6 juillet 1958, p. 17.
LA POUDRIÈRE [communiqué], « Ouverture de la Poudrière avec “The Rainmaker” », La Presse, 10 juillet 1958, p. 29.
ANONYME, « Marionnettes à l’île Ste-Hélène », La Presse, 26 juillet 1958, p. 23.
ANONYME, « Scène mondiale », La patrie du dimanche, 30 novembre 1958, p. 10.
ANONYME, « Célèbres marionnettes allemandes », La Presse, 10 octobre 1959, p. 54.
KEABLE, Jacques, « À la Poudrière : spectacle de marionnettes », La Presse, 10 octobre 1961, p. 27.
ANONYME, « Un festival Cocteau à la Poudrière », La Presse, 28 février 1964, p. 11.
ANONYME, « La Poudrière prépare 4 pièces canadiennes », La Presse, 9 mars 1965, p. 13.
GINGRAS, Claude, « “Amahl” : avons besoin de rien », La Presse, 24 décembre 1968, p. 40.
DASSYLVA, Martial, « Quatre légendes des Micmacs », La Presse, 28 juin 1973, p. A13.
BROUSSEAU, Jean-Paul, « La Belle au bois dormant aura… trois pieds », La Presse, 22 décembre 1973, p. D4.
DUSSAULT, Jean-Claude, « Dansez marionnettes », La Presse, 26 décembre 1973, p. E10.
ANONYME, « Les théâtres d’été », La Presse, 28 juin 1975, D5
DASSYLVA, Martial « Théâtre/La semaine », La presse, 12 juillet 1978, p. F6.