Vers la fin de ses études à l’école des Beaux-arts de Montréal, Guy Beauregard, dans la jeune vingtaine, est invité par l’architecte et décorateur de théâtre, Jean Fournier de Belleval, à rejoindre la compagnie de marionnettes de Micheline Legendre. Il y fait ses débuts en 1955, qui est une année de croissance importante pour les Marionnettes de Montréal. En effet, Micheline Legendre travaille sur un premier spectacle commandé par le chef d’orchestre Wilfrid Pelletier, pour l’Orchestre symphonique de Montréal et l’Orchestre symphonique de Québec, elle a donc davantage de moyens pour embaucher. C’est dans ce contexte que Guy Beauregard commence ses collaborations avec Micheline Legendre, d’abord en tant que peintre de décors de La Boîte à joujoux de Debussy, avec des représentations à la Place des Arts de Montréal, à la télévision de Radio-Canada ainsi qu’à la Philharmonique de New York, à Town Hall, le 17 décembre 1955.
Rodoudou et la ballerine, marionnettes créées par Micheline Legendre pour La Boîte à joujoux, en 1955, dont les décors sont de Guy Beauregard. Fonds Micheline Legendre, BAnQ, Montréal.
Un membre des Marionnettes de Montréal
Les sept premières années de carrière de Guy Beauregard sont ainsi marquées par sa participation à toutes les activités des Marionnettes de Montréal. En 1956, il conçoit les décors et maquettes des personnages de Pierre et le Loup (également une commande de l’Orchestre symphonique), et il participe à la réalisation des personnages ainsi qu’à la manipulation des marionnettes. Par la suite, il se voit confier de plus en plus de tâches techniques et de responsabilités artistiques au sein de la compagnie, notamment régisseur, éclairagiste, créateur de marionnettes, de costumes, de maquillages. Ses idées et habiletés comptent donc significativement dans le rayonnement croissant de la compagnie. En 1959, Beauregard part en France pour le montage des expositions de Micheline Legendre au Musée international de la marionnette de Lyon, à la Maison canadienne de la Cité universitaire et au Palais de Chaillot à Paris. En 1965, il fait partie de la distribution de deux pièces des Marionnettes de Montréal présentées au huitième Festival de l’UNIMA à Varsovie, dont Nikos et le Trésor, dont il a conçu les décors.
Le décorateur de la Poudrière
Avant même son inauguration, le 10 juillet 1958, le théâtre de La Poudrière, sur l’île Sainte-Hélène, s’associe aux Marionnettes de Montréal. La compagnie donne une série de représentations de la pièce Une aventure sur la lune dans un petit bâtiment annexe à la salle principale, du 26 juillet au 10 août 1958. Concepteur du décor, Guy Beauregard rencontre Jeanine Beaubien, directrice de la Poudrière, qui lui confiera la création et la réalisation des décors des 125 productions du théâtre. Dans son livre La Poudrière réincarnée, Jeanine Beaubien vante les qualités de bâtisseur enthousiaste de ce collaborateur, qu’elle classe parmi les plus fiables et loyaux de sa compagnie. De 1973 à 1977, il devient même son conseiller artistique dans ses tâches de direction de la Poudrière.
À partir de 1962, Beauregard est pigiste comme concepteur et manipulateur avec plusieurs compagnies de marionnettistes, en plus d’obtenir des contrats à la télévision[1]. Il collabore d’abord à la manipulation pour la compagnie Little Mermaid Theater, dirigée par Maleen Burke, de 1962 à 1967. En 1967, Beauregard rejoint l’équipe de John et Linda Keogh pour le spectacle présenté au Pavillon des Brasseries, à l’exposition universelle. Il côtoie alors le codirecteur des Marionnettes Pierre Régimbald et Nicole Lapointe, pour qui il a signé plusieurs décors, notamment lors de leur période d’activités au Théâtre de la Place Ville-Marie (1964-1968), de 99 places, dont Beauregard est alors le décorateur[2]. Au printemps 1964, il réaménage l’annexe de la Poudrière pour y diriger une équipe de marionnettistes, avec notamment Felix Mirbt, durant les étés 1964 et 1965.
Une première exposition québécoise et les collaborations avec Germain Boisvert
À l’été 1966, avec Germain Boisvert, il organise l’exposition « Marionnettes du Québec », qui fait découvrir leurs propres collections et celles appartenant à leurs collègues, soit une soixantaine de marionnettes conçues par une quinzaine d’artistes, dont Guy Beauregard, Germain Boisvert, Marie et Griffith Brewer, Gérard Budner, Maleen Burke, Pierrette Côté-Deslierres, Charles et Louise Daudelin, Claire Lespérance, Claire Marcil, Emphry et Réal McCarthy, Felix Mirbt, Michel Poletti et Pierre Régimbald. Assisté de Guy Beauregard, Germain Boisvert offre en marge de l’exposition un spectacle de cirque de marionnettes, avec une quarantaine d’animaux savants miniatures. D’abord présentée à Montréal, l’exposition part en tournée en 1967 et 1968, notamment à Drummondville et à Saint-Hyacinthe. Le spectacle d’animaux savants continue de tourner jusqu’en 1971. En 1984, la compagnie les Marionnettes de Germain Boisvert devient les Montreurs de marionnettes, dont Beauregard est le cofondateur, avec la mission de reprendre le répertoire de Maleen Burke.
Collaborations aux marionnettes de la télévision jeunesse
Dans les années 1960 et 1970, Beauregard cumule les contrats de marionnettiste pour différentes chaînes télévisuelles. À Télé-Métropole, il collabore à 18 émissions de Jeunesse d’aujourd’hui et il participe aux émissions de Jeannette Bertrand et de Monique Gaube, mais il est surtout impliqué dans le réseau télévisuel public. Guy Beauregard travaille d’abord à l’antenne de CBC, pour l’émission jeunesse bilingue Chez Hélène (1959-1973). L’animatrice Hélène Baillargon y enseigne le français à la souris Suzie, qui s’est établie dans sa maison ; anglophone (voix de Florence Schreiber), cette marionnette sert d’alter ego au jeune public d’âge préscolaire, que l’on veut initier au français. À la chaîne francophone de Radio-Canada, il crée en 1970 cinq marionnettes à gaine représentant les cinq sens pour la série Le Jardin des sensations, diffusée en Ontario par la station provinciale CBOFT, ou TV-Ontario. Toujours à cette ancienne antenne éducative provinciale de Radio-Canada, Guy Beauregard assiste Micheline Legendre à la manipulation pour les marionnettes d’une série de 52 épisodes, Les Boucaniers d’eau douce, produite entre 1976 et 1978. Au niveau national, il collabore à Picotine (1972-1975) et à Une fleur m’a dit (1975)[3]. Pour Picotine, il fabrique les plus importantes marionnettes à gaine de cette émission, dont Poil de Pluche, un saint-bernard avec yeux, bouche et oreilles articulées, Monsieur Gaston, un écureuil, et Tom Tac, un pivert. Il est le premier à les manipuler en interaction avec les acteurs et actrices avant que Gaétan Gladu, parfois assisté d’autres marionnettistes, ne prenne le relais. Les collaborations à d’autres émissions se poursuivent. Au printemps 1979, Guy Beauregard anime Kebekio, une marionnette à fils figurant un jeune garçon, créé par Claude Lafortune et Pierre Régimbald. Il interagit à l’écran avec son créateur, Papa Truc (Lafortune), qui le sensibilise à la consommation responsable dans cette série de 13 émissions de 14 minutes, Kebekio au pays de convoitise, produite par l’Office de la protection du consommateur et diffusée par Radio-Canada. Enfin, il est manipulateur dans Comment Wang-Fô fut sauvé des eaux, adapté de Marguerite Yourcenar par Micheline Legendre, diffusé à la télévision de Radio-Québec (Télé-Québec) le 23 décembre 1984.
Guy Beauregard a été à plusieurs titres un collaborateur important du milieu de la marionnette, pour un grand nombre d’émissions télévisuelles, surtout de la décennie 1970, après l’avoir été pour plusieurs compagnies théâtrales pionnières. En 1980, Beauregard expose de nouveau ses marionnettes à Montréal et en 1983, à Québec. Depuis l’exposition québécoise de 1966 organisée avec Germain Boisvert jusqu’à son décès en 1992, il continuera à rêver d’un musée québécois de la marionnette, accumulant une collection personnelle de photos et de documents sur cet art au Québec, dont il aura été un ambassadeur lors de festivals de marionnettes à l’étranger.
Bibliographie
LEGENDRE, Micheline, Marionnettes, Art et Tradition, Montréal, Leméac, 1986.
FRÉCHETTE, Michel, avec Germain Boisvert (coll.), « Sur scène. Hommage à un homme de cœur et de métier [Guy Beauregard] », Bulletin de l’AQM, vol. 3, no 3, septembre 1992, p. 20-22.
ROY, Jean-Philippe, « Cahier iconographique II », dans Gilbert David (dir.) Le théâtre contemporain au Québec, 1945-2015 : essai de synthèse historique et socio-esthétique, Montréal, PUM, 2020, p. 173-189.
CÔTÉ, Olivier et Claire CHAMP, De Pépinot à la Pat’ Patrouille : notre enfance télévisuelle, Gatineau, Musée canadien de l’histoire, 2022, p. 101.
[1] Micheline Legendre, Marionnettes, Art et Tradition, Montréal, Leméac, 1986, p. 131. Legendre donne une liste de noms de marionnettistes avec qui il a collaboré, mais sans préciser les dates ni le contexte (quelle compagnie ou quelle émission télévisuelle). Le présent texte tente de les nommer uniquement lorsqu’il est possible de situer et mesurer à un peu plus de précision ces collaborations. Parmi la liste de ces collaborations, seul Germain Boisvert, pour le moment, n’est pas situé autrement, par d’autres sources.
[2] Il signe les décors de la compagnie de production de Mary Morter, l’Instant Theatre (1965-1969). Micheline Legendre, Marionnettes, Art et Tradition, Montréal, Leméac, 1986, p. 132; Jean-Philippe Roy, « Cahier iconographique II », dans Gilbert David (dir.), dans Gilbert David (dir.) Le théâtre contemporain au Québec, 1945-2015 : essai de synthèse historique et socio-esthétique, Montréal, PUM, 2020, p. 184.
[3] Les dates de l’émission Picotine ont été corrigées d’après un dépouillement de copies numérisées par BAnQ du périodique hebdomadaire de la programmation de la télévision de Radio-Canada.