Skip to main content

Biographies

Edmondo Chiodini

par Francis Ducharme

Premier concepteur en scénographie de la télévision jeunesse au Canada, le sculpteur Edmondo Chiodini dirige, dès la deuxième année de diffusion, une équipe et un atelier où la fabrication de marionnettes est centrale.

Fils d’un père immigrant milanais et d’une mère canadienne-française, Edmondo Chiodini se spécialise comme sculpteur lors de sa formation à l’École des beaux-arts de Montréal et ses œuvres de bois sont vues publiquement à partir de 1945. Son travail est notamment soutenu et exposé dès 1946, rue Sherbrooke (à Montréal), par la boutique Beaumanoir (1944-1949), qui revend antiquités et œuvres d’artisanat tout en servant de salle d’exposition d’artistes visuels. Durant ces années, cette boutique est la principale occupation de Paul Gouin, un collectionneur, avocat, homme d’affaires et politicien défait. En avril 1946, au Beaumanoir, un « Salon Chiodini » connaît une réception critique élogieuse pour une vingtaine de sculptures sur bois de personnages aux sujets religieux, dans un style très expressif parfois teinté d’influences égyptiennes et africaines. Gouin est aidé par Chiodini dans ses tâches d’antiquaire, mais il fermera cette entreprise après avoir été choisi comme haut fonctionnaire provincial en matière d’affaires culturelles. Entretemps, les ressources et contacts de Gouin aident sans doute l’artiste à se doter de son propre atelier de conception de marionnettes, sur la rue Peel. De 1950 à 1952, Chiodini connaît aussi du succès à titre d’illustrateur de cartes de Noël.

La Chiodinerie, au cœur des débuts de la télévision jeunesse

La place accordée à la télévision de Radio-Canada aux émissions jeunesse, pour lesquelles Edmondo Chiodini occupera une fonction centrale, représente une étape majeure dans le développement du théâtre jeunesse et, plus largement, de celle des métiers scénographiques d’un milieu théâtral très précaire. Radio-Canada crée un poste de responsable du service (ou section) de la scénographie, avec une équipe dédiée. Il y a là un salaire principal et une forme de reconnaissance officielle pour le concepteur de décors Jacques Pelletier, assisté aux costumes par Marie-Laure Cabana, un couple et un tandem à qui l’on doit la haute tenue visuelle des premiers spectacles du Théâtre du Nouveau Monde. De façon analogue, le temps et les ressources de Chiodini pour les émissions jeunesse favoriseront la professionnalisation du théâtre pour les jeunes publics. L’artiste a fait partie, comme concepteur de marionnettes, de l’équipe impliquée dans les travaux préparatoires au lancement de la télévision d’État dès 1951. Ce pionnier fabrique les castelets et les marionnettes de la toute première fiction télévisuelle de Radio-Canada, Pépinot et Capucine (1952-1957) – les premiers personnages, à partir de croquis de Jean-Paul Ladouceur, puis selon ses propres dessins.

Marionnettes Pépinot et Capucine, de l'émission du même nom.

L’importance de sa tâche, d’abord effectuée à la pige, donnera lieu à un poste officiel de « chef décorateur » des émissions jeunesse, avec un atelier sous sa direction, relevant officiellement du directeur de la section de la scénographie de Radio-Canada. Son autorité s’exerce avec une autonomie croissante, puisque deux ans plus tard, ce que l’on surnomme la Chiodinerie déménage de la très achalandée maison-mère pour loger un peu plus à l’ouest dans un édifice secondaire de Radio-Canada, rue Guy. Elle devient un département spécialisé en émissions de marionnettes, dans un contexte où presque tous les programmes jeunesse en comptaient. Le département est mieux équipé, plus tranquille et plus vaste, il est passé d’un atelier de deux pièces à « une enfilade de bureaux et d’ateliers, abondamment éclairés de larges fenêtres ».

Dans les meilleures années, la Chiodinerie comporte jusqu’à six artisans, qui produisent en moyenne une marionnette par semaine (souvent à partir d’anciennes têtes), avec environ quatre ou cinq costumes par personnage. On y confectionne et entrepose aussi de nombreux accessoires et décors, à l’échelle de la plupart des personnages, qui sont des marionnettes à gaine de 45 cm en plasticine et papier mâché. Décrit comme un magasin de jouets digne de rêves fabuleux, le département est surchargé d’une abondance éclectique de maquettes servant de castelets, tels une galère phénicienne suspendue au plafond, une reproduction du château de Chambord qui côtoie une île au trésor tropicale, ou un train à vapeur avec des passagers à chaque fenêtre. Dès Pépinot et Capucine, la norme est de créer au moins un nouveau décor par semaine : le scénario d’un épisode devait être soumis par Réginald Boisvert un mois à l’avance, afin d’accorder une semaine à la construction du ou des castelets.

De droite à gauche : Jeanne Auclair, Marielle Chevrier, costumière et Edmondo Chiodini

Un modèle esthétique et une conception de l’art de la marionnette

Chiodini dirige la fabrication de plusieurs autres mondes fictifs avec, entre autres, Le Grenier aux images (1952-1957, sauf le décor initial, de Claude Jasmin) et La Boîte à Surprise (1956-1968), la majorité des décors de Bobino (1957-1985); il façonne Bobinette d’après les dessins de Michel Cailloux, puis l’univers de Pépé le cowboy (1958-1959), de Chez Hélène (à CBC, 1959-1973) et du Professeur Calculus (1960-1961). La scénographie est une affaire d’équipe et, à l’époque surtout, elle part de la vision initiale des scénaristes et réalisateurs. Le directeur de la Chiodinerie fixe néanmoins des normes stylistiques. Plus une série dure, plus il décide librement du détail des costumes et décors secondaires, de nouveaux accessoires et de la fabrication de personnages épisodiques. Chiodini explique dans une entrevue de 1959 que « deux conceptions des marionnettes s’opposent » dans le monde, la première étant une course pour repousser les limites du naturalisme grâce aux nouveaux matériaux et techniques, tandis que la seconde, celle adoptée par Chiodini, priorise la stylisation, la fantaisie et la poésie. Chiodini nuance néanmoins sa position : « Toutefois, comme je m’adresse à un public particulier qui est celui de la télévision, un public qui exige beaucoup de naturel, je fais un compromis. Mes poupées sont assez réalistes, mais les traits sont accentués. Elles sont plutôt des caricatures de personnes réelles. » Présent lors de cette entrevue collective à la Chiodinerie, Charles Daudelin précise cette idée de caricature : elle vise la parodie pour rejoindre les adultes, mais l’intention est d’abord de « chercher à savoir comment [les enfants] voient un bandit dans leur imagination », ou tel autre archétype.

Hommages et postérité

Pour marquer le départ à la retraite de Chiodini, une exposition de ses œuvres est présentée dans une salle de la Maison de Radio-Canada, du 5 au 21 mai 1976, à la suite de laquelle l’artiste vend au moins une cinquantaine de ses œuvres. Chiodini demeure actif comme dessinateur, peintre et sculpteur. Une rétrospective de ses peintures, sculptures et marionnettes est exposée dans un centre d’art de Laval au printemps 1980. Jean-Paul Fugère reconnaît qu’on lui doit « le côté fantaisiste, léger, aérien » des premières décennies de la télévision jeunesse de Radio-Canada, qui n’aurait pas été le même sans lui.  Après son décès, le 25 septembre 1997, une lettre ouverte posthume lui est adressée de la part de Claude Lafortune (1936-2020), qui salue celui qui lui a donné le goût de ce métier et qui a été un « maître » pour toute sa génération. Chiodini a inspiré aussi la génération suivante : ceux et celles qui ont connu son travail durant l’enfance. Il aura su défendre et établir, dans les fictions pour la jeunesse, des standards de professionnalisme dans la scénographie des arts de la marionnette.

Depuis 2010, à Montréal, un parc porte son nom, il est situé à l’intersection de la 4e Rue et de la 60e Avenue, dans l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles.

Bobinette au musée de la Civilisation de Québec

BIBLIOGRAPHIE
CÔTÉ, Olivier et Claire CHAMP, De Pépinot à la Pat’ Patrouille : notre enfance télévisuelle, Gatineau, Musée canadien de l’histoire, 2022.
LEGENDRE, Micheline, Marionnettes, Art et Tradition, Montréal, Leméac, 1986.
HAMEL, Nathalie, « Notre maître le passé, notre maître l’avenir ». Paul Gouin et la conservation de l’héritage culturel du Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008.
IMBEAULT, Sophie et Stéphane LABBÉ (collab.), Une histoire de la télévision au Québec, Montréal, Fidès, 2020, 531 p.
MUSÉE CANADIEN DE L’HISTOIRE, « Edmondo Chiodini », Theatre.museedelhistoire.ca, en ligne, s.d.
RODRIGUE, Johanne « Une marionnettiste du petit écran », Marionnettes, no 4, 2013-2014, p. 52-55.
ROY, Robert, Il était une fois Radio-Canada, Montréal, Del Busso, 2015, 412 p.
Archives de périodiques (en ordre chronologique)
DELISLE, Jacques, « Le Salon Chiodini au « Beaumanoir » », Le Devoir, 9 avril 1946, p. 6.
ANONYME, « Grande exposition de cartes de Noël à motif religieux », La Presse, 9 décembre 1952, p. 15.
ANONYME, « Ste-Catherine au Séminaire de Valleyfield », La gazette Valleyfield-Beauharnois, 13 novembre 1953, p. 6.
ANONYME, « La Semaine à la télévision : Pépinot et Capucine bilingue », La semaine à Radio-Canada, 24 janvier 1954, p. 8.
ANONYME, « Les nombreuses transformations d’un programme de marionnettes », Radiomonde et télémonde, 1er janvier 1955, p. 11.
SERVENT, Michel, « Exilées de Radio-Canada… Les marionnettes se meuvent plus à l’aise sur la rue Guy », Photo-journal, 30 août 1955, p. 40.
ANONYME, « Pépinot…! Un “petit monde” merveilleux! », Le Droit, 2 mars 1957, cahier 3, p. 22.
DANIS, Gérald, « À Radio-Canada. Boutique à joujoux », article avec photos de Roger Lamoureux, Photo-journal, 23 août 1958, p. 10.
DANIS, Gérald, « Télé-marionnettes. Western miniature  », Photo-journal, 18 octobre 1958, p. 10.
ANONYME, « Marionnettes », La Semaine à Radio-Canada, numéro spécial « La scénographie », 24 janvier 1959, p. 7
ANONYME, « Visite au petit monde des marionnettes », La semaine à Radio-Canada, 18 avril 1959, p. 4-5.
FUGÈRE, Jean-Paul, « Les pionniers de notre télévision », Ici Radio-Canada, 22 octobre 1977, p. 8-9.
MAJOR, Henriette, « Rétrospective », La Presse, 12 avril 1980, p. 10.
PRESSE CANADIENNE, « Le “père” de Pépinot, Capucine et Bobinette est mort », La Tribune, 30 septembre 1997, p. C6.
LAURENCE, Jean-Christophe, « Le créateur de Pépinot et de Bobinette n’est plus. Edmondo Chiodini meurt à 91 ans », La Presse, 1er octobre 1997, p. E3.
LAFORTUNE, Claude, « Adieu Chio! », La Presse, 3 octobre 1997, p. B2.
ST-HILAIRE, Jean, « Pantins entrepreneurs », Le Soleil, 9 novembre 1998, p. C3.
ANONYME, « Avis de décès : Chevrier, Marielle. 1927-2004 », Le Devoir, 22 octobre 2004, p. 6.
GRAVEL, Alain, « Chronique urbaine d’Hugo Lavoie : Journée mondiale de la marionnette », segment « La femme qui a fabriqué les marionnettes de Pépinot se souvient », Radio-Canada Ohdio, dans Gravel le matin, 21 mars 2017, 6 min.