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Biographies

André Laliberté : plus qu’un métier, une passion

Né en 1947 à Montréal, André Laliberté a consacré sa vie à la marionnette. Fondateur et directeur artistique du Théâtre de l’Œil, compagnie de théâtre pour le jeune public pour laquelle il a créé 27 spectacles qui ont tourné dans le monde entier, il a également été un excellent formateur et une personnalité engagée dans son milieu.

André Laliberté partageait son bureau avec les marionnettes des créations du Théâtre de l’Œil. « Leur présence silencieuse m’inspire », disait-il.

André Laliberté. © Michael Abril, AQM, Montréal, 2015

André Laliberté a tout juste 14 ans quand un grave accident le maintient hospitalisé à l’hôpital Sainte-Justine de Montréal pendant de longs mois. C’est là qu’il voit son premier spectacle de marionnettes, Nikos et le trésor, des Marionnettes de Montréal. Pour lui, c’est une révélation ! Un an plus tard, surmontant sa grande timidité, il provoque une rencontre avec Micheline Legendre, directrice artistique des Marionnettes de Montréal, qui l’invite à suivre la compagnie pendant les fins de semaine et les congés scolaires. C’est ainsi qu’André se retrouve déménageur, préposé aux montages du castelet, balayeur, déchireur de tickets et délégué aux courses. Jusqu’au jour où il manque une paire de mains sur les ponts. André y grimpe avec enthousiasme pour manipuler un oiseau.

Une formation en compagnonnage

Micheline Legendre (1923-2010) était une spécialiste de la marionnette à long fils, l’une des techniques les plus difficiles. Son castelet se composait de deux ponts encadrant l’aire de jeu. Grâce à l’agilité de son jeune âge, André devient vite le champion du passage du pont avant au pont arrière, mais surtout, il devient un virtuose de la marionnette à fils. Il reste pendant dix ans avec les Marionnettes de Montréal, où, comme les compagnons du Moyen Âge, il apprend son métier et transmet son savoir-faire : devenu répétiteur pour plusieurs des spectacles de la compagnie, il forme les nouveaux marionnettistes.

Au Jardin des Merveilles du parc Lafontaine, Micheline Legendre dirige un théâtre de marionnettes pendant sept saisons, où elle présente les adaptations de Tintin (dont elle avait obtenu les droits de Hergé, exploit qui mérite d’être souligné). André manipule d’abord Milou, puis le capitaine Haddock. C’était un apprentissage à la dure : de la fin juin à début septembre, six jours par semaine à raison de trois, parfois quatre représentations par jour. Pour ses vingt ans, André célèbre le monde lors de l’Exposition universelle de 1967. Micheline Legendre avait réussi à organiser, avec le concours du pavillon de la jeunesse, un Festival international de la marionnette au cours duquel André a eu le privilège de côtoyer Jacques Chesnais, grand maître français de la marionnette, Albrecht Roser, marionnettiste allemand réputé, le très renommé théâtre de Spejbl et Hurvinek de Tchécoslovaquie… Des rencontres qui allaient être déterminantes dans son évolution de marionnettiste.

Une compagnie internationalement reconnue

En 1973, André Laliberté fonde le Théâtre de l’Œil avec Francine Saint-Aubin, photographe et plasticienne. Jocelyn Desjarlais, rencontré chez Micheline Legendre, puis Pierre Tremblay rejoignent la compagnie et forment ainsi une troupe permanente. S’il se consacre principalement à la mise en scène, André assume également les rôles d’auteur et de marionnettiste, de concepteur et d’artisan. Sa passion pour la marionnette et son désir de décloisonner les genres le conduisent à s’entourer d’artistes venus de toutes les disciplines. Des metteurs en scène reconnus, des auteurs confirmés ont côtoyé au fil des spectacles des compositeurs, des artistes visuels, des musiciens, des chorégraphes qu’André a eu le plaisir d’initier à la marionnette, bâtissant ainsi un répertoire conséquent.

Le Théâtre de l’Œil a été la première compagnie québécoise à se produire en Chine, avec Regarde pour voir, une mise en scène d’André Laliberté, créée en 1979. Puis, les tournées internationales se sont multipliées, en Europe, en Asie, en Afrique du Nord et aux États-Unis. Créé au Centre national des Arts d’Ottawa en 1997, Le Porteur /The Star Keeper est une éblouissante réussite. Imaginé et créé par André Laliberté, l’artiste visuel Richard Morin et le scénographe Richard Lacroix, ce spectacle a tourné pendant plus de 20 ans. Il a été présenté dans le monde entier, totalisant plus de 800 représentations sur quatre continents. Théâtre d’images, histoire sans paroles, Le Porteur témoigne d’une extraordinaire inventivité, empruntant certaines manipulations aux techniques du cinéma. Le Porteur a été récompensé du prestigieux prix Chalmers Canadian Play Award en 2001, d’une Citation of Excellence in the Art of Puppetry, décerné par UNIMA-USA en 2005 (tout comme l’avait été avant lui une autre production de la compagnie, Zoé perd son temps, en 1997) et de trois Masques de l’Académie Québécoise du Théâtre en 1999. L’immense succès de ce conte initiatique a permis d’ouvrir des réseaux de diffusion pour les compagnies québécoises, notamment dans les grands festivals internationaux de théâtre pour les jeunes publics et des arts de la marionnette.

L’expertise reconnue d’André Laliberté en art de la marionnette lui a permis quelques collaborations en cinéma. La compagnie IMAX a fait appel à lui pour une séquence du film Echoes of the sun / La force du soleil, présenté en première mondiale à l’Exposition universelle de Tokyo en 1990. Ce film a fait le tour du monde dans les salles de cinéma IMAX. En 2001, Philippe Baylaucq l’invite pour le film Hugo et le dragon, un conte musical pour enfants, lauréat de deux prix en 2002 (Prix Téléfilm Canada et Prix Gémeaux).

Pour le public adulte, André Laliberté monte un texte de Michel Tremblay, Les grandes vacances, en 1981. En 2003, il conçoit une séquence de marionnettes particulièrement remarquée pour La Savetière prodigieuse, de Garcia Lorca, dans une mise en scène de Martine Beaulne au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal.

Professionnaliser la profession

André Laliberté est un des acteurs majeurs de l’évolution du théâtre pour jeune public au Québec. Au moment de la fondation du Théâtre de l’Œil, seules quelques compagnies de théâtre pour le jeune public existent. Elles parcourent le Québec et le Canada, de gymnases d’écoles en salle paroissiales et jusqu’en usine, tentant de transformer en salle de spectacle des lieux souvent bien ingrats. En 1982, alors que le milieu des diffuseurs s’organise, le Théâtre de l’Œil s’associe avec le théâtre du Carrousel et la compagnie La Marmaille (devenue Les Deux Mondes) pour créer la Maison Théâtre, à Montréal. Regroupement de compagnies, lieu de diffusion, la Maison Théâtre inscrit le spectacle pour jeune public dans le paysage artistique québécois. André Laliberté en sera président du Conseil d’administration pendant plus de dix ans, et siègera sur divers comités artistiques.

Artistiquement, André Laliberté a donné à la marionnette ses lettres de noblesse, la mettant en scène sur de grands plateaux, dans des castelets à ouverture panoramique. Au fil des créations, il s’est attaché à travailler avec les différents types de marionnettes (à gaine, à fils, à tiges, de type Bunraku…), offrant ainsi aux marionnettistes un perfectionnement professionnel constant. Expert en techniques de manipulation et pédagogue attentif, il a toujours eu le souci de transmettre son expertise, que ce soit dans l’atelier et la salle de répétition de sa compagnie, ou au DESS en théâtre de marionnettes contemporain de l’UQAM. Il a ainsi formé plusieurs générations de marionnettistes et d’artisans.

Soucieux de former une relève, André Laliberté propose, durant de nombreuses années, des ateliers et des formations en manipulation aux jeunes comédiens sortant des écoles de théâtre. Si la liste des artistes qu’il a su intéresser à la marionnette est très longue, c’est le nombre de marionnettistes formés à la pratique qui est le plus impressionnant. Plusieurs d’entre eux ont fondé leur propre compagnie (Hélène Ducharme, le Théâtre Motus, ou Isabelle Payant, le Théâtre des Petites âmes), d’autres ont intégré la marionnette dans leur démarche théâtrale personnelle (Félix Beaulieu-Duchesneau, Sébastien Gauthier du Petit Théâtre du Nord, Robert Drouin du Théâtre en l’Air, Simon Boudreault…).

Après avoir consacré toute sa vie à son art, au rayonnement et à la transmission de celui-ci, André Laliberté prend sa retraite en 2020 (1). Grâce à sa créativité, à son talent et à sa vision, il a grandement participé à la reconnaissance et à l’essor des arts de la marionnette au Québec, ainsi qu’à leur renommée à l’étranger.

L’excellence de sa carrière a été soulignée par le Prix Albert-Tessier (2), remis en 2020. Deux ans plus tard, André Laliberté est fait Compagnon des arts et des lettres du Québec (3).

Michelle Chanonat

 

(1) Article La Presse : https://www.lapresse.ca/arts/theatre/2020-03-07/47-ans-de-marionnettes

(2) Prix Albert-Tessier : https://prixduquebec.gouv.qc.ca/prix/culturels/albert-tessier/

Entrevue avec André Laliberté à l’occasion de la remise du prix Albert-Tessier :

(3) https://www.calq.gouv.qc.ca/actualites-et-publications/actualites/andre-laliberte-oalq

Frise chronologique du Théâtre de l’Œil