Article paru dans Revue Marionnettes 2017-2018 nº6 : les maisons de la marionnette dans le monde
José Babin est directrice artistique du Théâtre Incliné, comédienne, autrice et metteuse en scène
Les résidences de création sont avant tout des moments arrachés au quotidien, aux travaux administratifs et autres distractions imposées par nos sociétés obnubilées par le résultat et la rentabilité de l’art. C’est un concentré de temps où l’on accepte de s’immerger totalement dans un projet.
Au Théâtre Incliné, nous avons expérimenté de multiples résidences de création sur différents territoires : au Japon, en Italie, en France et au Nunavik, au nord du Québec. Comme nous faisons un théâtre de matière qui se crée sur le plateau, ces résidences sont devenues des étapes intrinsèques à notre pratique. Des moments nécessaires où l’éclairage, la musique et la vidéo doivent jouer avec les acteurs et les objets marionnettiques.
Nordicité, spectacle créée en résidence et en coproduction au Nordland Visual Theatre, en Norvège, en 2016. Photo Geneviève Therrien
Chaque projet a son rythme
Il y a les projets « Kino », réalisés en très peu de temps. Ces périodes de création intensive sont enivrantes. Pas le temps d’avoir peur, il faut plonger. Ça engendre des œuvres aux traits clairs, en haut contraste. C’est dynamique, ça bouscule et ça garde en mouvement. La dernière résidence de ce type nous a permis, en juin 2017, de réunir dans le Nordland (Norvège) des artistes russes, norvégiens et québécois pour créer un court métrage en six jours. Ce fut une joyeuse et belle rencontre.
Il y a aussi les longues périodes de résidences, qui sont très différentes. Ce sont des opportunités de s’attarder, de remettre en question la première idée, puis la deuxième. Créer en résidence, particulièrement dans un autre pays, provoque un état de déséquilibre qui vous force à sortir de vos propres sentiers battus. C’est du moins un élément qui devrait faire partie de la démarche, sinon, autant travailler chez soi dans le confort de ses habitudes. Si je m’arrache à mon petit univers, à mon local de répétition trop connu, au théâtre qui se fait dans ma ville, à ma famille artistique. Si j’enlève tout ça… Qu’est-ce qu’il reste de moi ?
C’est cette question téméraire que j’ai voulu me poser en novembre 2016, quand je suis partie pour une longue résidence de huit semaines dans le cercle polaire norvégien. J’avais invité un créateur finlandais et une artiste norvégienne à se joindre à une équipe de cinq artistes québécois. La résidence s’est soldée par la présentation d’un spectacle. Curieusement, même si c’est la plus longue résidence que j’ai vécue, il me semble que j’ai manqué de temps ! Malgré mon expérience du travail in situ, j’ai été confrontée à un processus qui s’est éloigné de moi. Comme si, insidieusement, une ombre d’obligation de résultat avait faussé ma trajectoire.
En fait, puisque toute une équipe de créateurs fabuleux était avide de créer autour de moi, je me suis sentie responsable de les nourrir constamment et j’ai parfois fait des choix trop rapides. Ce faisant, je ne me suis plus accordé ce temps de réflexion inhérent aux longues périodes de résidence. Une pression trop semblable à celle de la production s’est invitée. Ce fut une bonne leçon. Cette difficulté fait maintenant partie du propos de la version finale du spectacle ; comme quoi, les voies de la création sont imprévisibles !
Je travaille en résidence sur différents territoires parce que ça me garde vivante et loin des « recettes artistiques ». Ça me permet de connaître d’autres points de vue, d’autres pratiques. C’est au contact d’autres identités que je cerne un peu mieux la mienne, j’imagine.
Les résidences de création qui font avancer l’artiste sont un espace-temps où rien n’est sûr. Il faut pouvoir accepter ce risque. L’important n’est pas la destination, mais ce qu’il reste de soi après le chemin parcouru.
Le Théâtre Incliné en Norvège. Photo José Babin